C'est l'histoire d'un couple qui, arrivé dans la quarantaine, s'organise pour partir un an, en congé sabbatique, sac au dos, en Asie.
Petit détail : ceci s'est passé en 92-93 !
Après relecture de Routards & Cie, que Sally avait rédigé à notre retour, nous avons décidé d'en faire un blog d'une durée d'un an en respectant le texte original et sa chronologie afin d'y retrouver les émotions de l'époque.
Les 675 photos, les 65 documents scannés, les 12 dessins, les 125 vidéos et les 95 enregistrements sonores sont d'époque aussi.
Bonne lecture !

Bangkok, 31 mars 1993

THAÏLANDE (3)
Cette fois, nous ne resterons que le temps d’obtenir nos visas pour le Cambodge. La situation s’échauffe là-bas, au point que de nombreux routards préfèrent ne pas s’y rendre.

Aujourd’hui, nous quittons Vientiane par avion.

[Arrivée à Bangkok]

Nous reprenons nos habitudes bangkokiennes à la Prasuri Guesthouse. Le patron nous connaît maintenant, et nous donne d’office la clef de la 405 chaque fois qu’elle est libre. En revanche, aucun sourire ne vient éclairer son visage, aucune question sur nos va-et-vient incessants depuis trois mois. Il n’est pas curieux, ne laisse voir aucun sentiment, il fait son travail, et pourtant, c’est toujours avec plaisir que nous le retrouvons.
Son chien Lang, l’ex-chiot amateur de tongs, ne va pas tarder à se payer la chienne des marchands chinois d’en face. La nymphette est toujours avec le même routard depuis notre premier jour à Bangkok, la plus âgée, celle qui a une voix d’homme, a changé de client pendant notre absence.
Passage chez Travex où le paquet de livres est bien arrivé, ainsi qu’une douzaine de lettres. Quelle constance !


Vientiane, 30 mars 1993

Wat Phra Keo


Je l’affirme bien haut et fort, Vientiane est un trou ! L’animation du centre-ville aux heures d’affluence est semblable à celle d’une sous-préfecture de province le jour de la finale de la Coupe d’Europe de foot !


Main de bouddha au Wat Phra Keo


[Extrait de la sonorisation des rues]

Les rues sont aussi vides en semaine que le week-end, la moitié des magasins sont fermés malgré les tentatives de libéralisation commerciale, l’autre moitié regorge de marchandises importées de Thaïlande ou même de France. Connaissez-vous le camembert en conserve ? Vous en trouverez chez le Chinois du coin sur Chao Anou.
Qui peut bien acheter ces produits hors de prix pour le simple Laotien ? Principalement les touristes et les expatriés : diplomates en Mercedes avec leurs familles, représentants d’organisations en tous genres, surtout l’ONU et ses belles Toyota bien briquées.
Les Laotiens, quant à eux, se contentent du marché local et de ses arrivages, au son de la propagande émise par des haut-parleurs. Très calmes les Laotiens, à la limite de l’apathie.

Tête de naga au Wat Si Saket


Le bulletin quotidien du Pathet Lao ronéotypé en français et en anglais, distribué gratuitement, donne les nouvelles du jour : le nouveau ministre des Affaires étrangères a reçu les ambassadeurs des pays amis, - Palestine, Cuba, Myanmar -, une délégation de haut rang lao prépare une visite officielle en république socialiste du Vietnam…
J’attribue le pompon aux Nouvelles de Pyongyang, hebdomadaire de la république populaire démocratique de Corée, édité en français, s’il vous plaît ! L’heure est grave : “En dépit des protestations véhémentes du peuple coréen et des autres peuples révolutionnaires du monde entier, les impérialistes américains et la clique fantoche sud-coréenne ont commencé des exercices conjoints de caractère tout à fait aventurier… Une situation extrêmement grave se crée dans notre pays, et la guerre peut éclater d’un moment à l’autre…”
En fait, les seuls livres et magazines français se trouvent dans la bibliothèque de l’ambassade de France. Gros titre d’un Paris-Match : Patrick Roy est mort.


Notre visa de transit n’est valable que pour Vientiane. Deux temples, le musée de la Révolution, nous avons tout visité. Nous rentrons à Bangkok par le premier avion.

Vientiane, 29 mars 1993

Bouddha au Wat Si Saket


Aujourd’hui, déménagement ! François s’est disputé avec le réceptionniste : pour visiter Vientiane, nous avions loué deux bicyclettes à l’hôtel. Au bout d’un quart d’heure, le guidon de François lui reste dans les mains. Il est tout à fait évident que le guidon avait déjà été consolidé.
De retour à l’hôtel, le réceptionniste fait la sourde oreille et déduit le prix de la réparation - d’un montant plus qu’exagéré - du montant de la caution que nous lui avions versée.
- Rendez-moi l’argent ou je vous casse vos belles lunettes de soleil, menace François qui n’a jamais aimé les lunettes de marque de luxe française.
- Monsieur, il n’est pas poli de parler aussi fort, répond l’autre très calmement.
Vexés de nous être fait plumer comme des débutants, nous quittons aussitôt l’hôtel sous le regard du réceptionniste qui a finalement retiré ses lunettes.


Offrandes

Vientiane, 28 mars 1993

LAOS
Rien de particulier dans ma tête. 
Pour François, ce pays évoque de beaux timbres.


Carte postale


Et hop ! Ce matin, nous quittons le ciel gris et la moiteur d’Hanoï. En un coup d’aile de Tupolev, nous voici à Vientiane où nous retrouvons une chaleur sèche.
Dans l’avion de Lao Aviation, trois quarts des passagers sont des touristes, ce qui sous-entend la course aux chambres d’hôtel bon marché.
À l’aéroport, nous sautons dans un taxi après avoir fait baisser le prix de moitié, et nous nous laissons conseiller par le chauffeur pour le choix de l’hôtel.
Nous échouons dans une immense chambre lugubre à la peinture écaillée et à la décoration laotienne, tendance communiste pure et dure. L’air conditionné est plutôt bruyant mais il fonctionne, la lumière est très faible dans la chambre, mais c’est Versailles dans les toilettes.

Petit tour à pied dans Vientiane : à première vue, la ville est vide, pas de piétons, peu de circulation, mais c'est dimanche.
De nombreux panneaux sont écrits en lao et en français : la Poste, les Assurances Générales du Laos, la Banque Extérieure Lao, et même le tailleur Levy !


Ici, on peut payer en kips laotiens, en bahts thaïlandais, ou bien en dollars américains. Un vrai casse-tête quand arrive l’addition du dîner : elle est en kips, nous payons en bahts, la monnaie nous est rendue en kips, bahts et dollars ! Je vais me faire greffer une calculette dans la main !

Hanoï, 27 mars 1993



C’est avec plaisir que nous retrouvons notre chambre, chez Monsieur Hoang Suoc. Il est peut-être content de nous revoir, mais il n’en laisse rien voir. Difficile d’avoir une conversation avec lui bien qu’il parle un français élégant et vieillot. Il était ingénieur en électricité du temps de l’Indochine. Il est à la retraite maintenant, et vit avec sa femme et ses enfants dans un minuscule logis encombré de livres et de journaux. Il continue à bricoler des appareils électriques, et surveille d’un œil vigilant la propreté des chambres : à peine mettons-nous le pied dehors qu’un membre de la famille vient nettoyer le sol ou remplacer la bouteille thermos - l’eau chaude et le thé sont fournis dans les chambres partout au Vietnam.



Nous reprenons nos promenades dans Hanoï. Les rues offrent un spectacle sans cesse renouvelé.
Pour commencer, la chaussée. Traverser une grande artère continuellement sillonnée de cyclos, mobylettes Honda et bicyclettes imbriqués les uns dans les autres requiert de nombreuses qualités : tout d’abord de la patience, car les feux rouges sont quasi inexistants, puis une grande rapidité d’esprit pour repérer le bon moment et foncer en slalomant vers le trottoir opposé. C’est chacun pour soi ; la circulation, bien que lente, est trop dense pour nous permettre de traverser main dans la main, et les coups de klaxons nous font croire à chaque seconde que notre fin est proche. Les mobylettes ont des klaxons de voiture ! Imaginez la cacophonie !
Les trottoirs, maintenant. Défoncés, transformés en parking pour mobylettes et vélos, squattés par des marchands, ils laissent peu de place aux piétons. Seule solution, le caniveau, en essayant d’éviter la circulation.


Beaucoup d’animation dans le quartier des Corporations : on rencontre pas mal de Russes venant faire des achats. Les petites boutiques y vendent des vêtements bon marché, souvent des imitations des grandes marques occidentales, des objets de laque, des montres… russes. Les rues de ce quartier abritaient autrefois des dizaines de corporations, les fabricants d’éventails, de peignes, de cartes à jouer, les vendeurs de bambou, de crin de cheval, de nouilles ou de poisson fermenté.



Aujourd’hui, si les bannières rouges brodées flottent encore aux devantures des boutiques de Hang Quat, la plupart des autres corporations ont disparu, et seuls les noms des rues rappellent leur ancienne spécialité.
Cependant quelques métiers peu communs subsistent encore à Hanoï, en particulier celui de portraitiste : on lui apporte une photo d’identité noir et blanc avec col de chemise, et quelques jours plus tard, on repart avec un poster couleur avec costume cravate ! Étonnant, non ?


[Un chanteur des rues]


Pour une poignée de dongs, on peut aussi tirer quelques bouffées d’une pipe à eau, accroupi sur le trottoir.
Enfin, n’oublions pas ces dames qui se promènent avec leur sac à main au bord du lac Hoian Kiem, et qui nous accostent sans gêne :
- Combien ? demande Picou
- 11 000, répond la dame
- 12 000, c’est mieux !
- Non, la dame ne vend pas ses charmes ; elle les utilise seulement pour tirer le meilleur parti d’une éventuelle opération de change. Elle, et ses collègues de trottoir, travaillent pour la joaillerie d’en face. C’est plus ou moins toléré, et bien pratique ! Pas besoin de chercher une banque ouverte.


Pour le plaisir de revoir la petite maison d’Ho Chi Minh, nous refaisons le circuit mausolée-maison. Et nous repartons dans les marchés, dans les ruelles, nous déjeunons d’un bun bo dans un restaurant populaire, et terminons notre journée avec un sandwich baguette à la Vache qui rit. Oui, la baguette existe encore au Vietnam, on en trouve à tous les coins de rue, dans sa version mini. Quant à la Vache qui rit, elle côtoie le caviar russe dans de nombreux magasins !

Mince, j’ai oublié de vous parler de deux spectacles. Tout d’abord, les marionnettes sur l’eau, dans un petit théâtre à quelques kilomètres du centre-ville : la technique est très particulière car les marionnettes évoluent sur l’eau, les manipulateurs étant cachés derrière un rideau. Les scènes s’inspirent de contes et légendes du Vietnam, c’est la poésie et la nature à l’état pur : paysans, seigneurs, dragons, poissons, canards, oiseaux sont les héros magiques de ce spectacle plein de drôlerie. À conseiller.


[Spectacle des marionnettes]


Le cirque d’Hanoï, à ne pas confondre avec le cirque de Pékin ou le cirque de Moscou, car le spectacle n’est pas très professionnel. Ça rappelle plutôt le spectacle de fin d’année à l’école. Les spectateurs vietnamiens, qui ont peu de spectacles de distraction à leur disposition, rient de bon cœur tout en grignotant des graines de tournesol.
Je dois avouer que nous avons tenté de partir pendant l’entracte : mission impossible, les grilles sont fermées pour empêcher les resquilleurs d’entrer. Je me suis rabattue, moi aussi, sur les graines de tournesol.

Je ne peux terminer sans vous parler du phénomène Catherine Deneuve : nous avons rencontré le cyclo-pousse qui avait transporté notre star, un tailleur où elle s’est fait couper des habits - une photo dans la vitrine prouve son passage -, un libraire où elle a acheté des livres… Catherine Deneuve est devenue le symbole de l’ouverture du Vietnam. Même le président Mitterrand, qui est passé ici il y a quelques semaines, n’y pourra rien changer !

Baie d’Halong, 24 mars 1993


Nous y sommes, et ce n’est pas plus ensoleillé que dans le film Indochine. Il fait un peu plus chaud qu’à Hanoï, mais le temps est pluvieux, les nuages sont bas et toute la baie est noyée dans une brume grisâtre.




Quatre heures de bateau dans la Baie d’Halong, cet après-midi, avec nos compagnons de voyage : un couple norvégien enrhumé, un Japonais surnommé Honda, un Hollandais aux grandes jambes, et un autre couple français avec lequel nous discutons de littérature et de poésie pendant une grande partie de la promenade.
Il faut bien le dire, l’intérêt de cette excursion est très limité, car il se borne à un phénomène géologique : d’énormes rochers, aux formes variées s’élèvent ça et là au milieu de l’eau, certains renferment des grottes. Bof ! Quelques petits bateaux de pêcheurs passent dans le brouillard, et nous essayons de repérer des jonques grâce à leur voile. Pas facile !


En revanche, la route entre Hanoï et la baie - environ 5 heures de voyage pour 120 kilomètres -, est très intéressante car elle traverse une région extrêmement agricole.
Partout des rizières où les paysans travaillent inlassablement dans la boue, le dos courbé : repiquage, nettoyage, irrigation, que du fait main.


Le long du chemin, des canards en file indienne, ou d’énormes buffles tenus en laisse par un vieillard, ou chevauchés par un enfant. Partout des cyclistes transportant de lourdes charges à l’équilibre précaire, inconscients du danger que représentent les bus qui les doublent sur l’étroite route. Étroite route, qui se transforme soudain en voie ferrée, sur un pont qui traverse un bras de mer : la circulation des bus est arrêtée dans les deux sens, et il faut alors attendre le passage de la locomotive à vapeur et des wagons de marchandises, avant de reprendre son chemin.


Femme aux dents vitrifiées

Le passage de deux bacs nous permet de confirmer la crainte qu’éprouvent les adultes devant les étrangers. Les enfants, qui n’ont pas connu la lourde chape du communisme, sont plus intrépides et nous entamons avec eux un concours de grimaces qui ne nécessite aucune traduction.
Les policiers sont aussi présents le long des routes : ils nous arrêtent sans raison, dans le seul but de s’arrondir les fins de mois. Le chauffeur, qui a l’habitude de ces manœuvres n’a plus qu’à sortir quelques billets pour qu’on nous laisse repartir.

Hanoï, 23 mars 1993

L'Oncle Ho avec un enfant


Hanoï est une ville riche en découvertes. Par quoi commencer ? Honneur à Ho-Chi-Minh, l’Oncle Ho, celui qui fait encore déplacer les foules par camions entiers venant des campagnes les plus reculées du pays. Il faut les voir arriver, ces paysans, ces classes d’écoliers, debout à l’arrière des camions, brandissant fièrement le drapeau vietnamien rouge à étoile d’or qui claque au vent.

Comme nous, ils vont enfin voir le corps si soigneusement conservé du fondateur du Vietnam indépendant. Tous les ans, il repart quelques semaines à Moscou pour un lifting !
Les étrangers bénéficient d’un protocole particulier : nous devons nous faire enregistrer dans un bureau spécial pour obtenir l’autorisation de visiter, et laisser tous nos sacs.
Ensuite, nous sommes pris en main par un soldat qui nous accompagne sur un tapis rouge en plastique, il faut marcher à la queue leu leu.

À l’entrée du très soviétique mausolée, c’est un garde qui prend le relais et nous montre le chemin à suivre. Nous sommes dans la pénombre, et descendons vers la chambre froide où le corps d’Ho-Chi-Minh, allongé dans sa cage de verre, est éclairé d’une lumière blanche. Les groupes d’écoliers se bousculent en silence et ouvrent de grands yeux sur ce spectacle à la mise en scène cinématographique ; ils voudraient s’arrêter, mais c’est interdit et impossible car la foule se presse derrière aussi.

Nous n’en avons pas terminé avec Ho-Chi-Minh, car le flot des visiteurs se déverse ensuite dans les jardins du palais du gouverneur général, pour se diriger vers le petit chalet en bois où il habitait et travaillait : la maison sur pilotis est modeste, le mobilier est simple, et tout cela respire le vrai et l’essentiel.

Et ce n’est pas terminé ! Voici maintenant le musée Ho-Chi-Minh, immense structure moderne où sa vie est retracée à travers photos, objets, articles de journaux, événements historiques, correspondances : le 5 février 1924, il écrivait à l’un de ses amis : “Ayant eu le nez et les doigts gelés lors des funérailles du camarade Lénine, je ne puis venir travailler au Comintern…”


Les musées ne manquent pas à Hanoï, ainsi, celui de l’Histoire, quasiment désert, ex-musée de L’École française d’Extrême-Orient, où un homme bizarre vêtu d’un imperméable et d’un chapeau nous suit pas à pas, et nous glisse subrepticement à l’oreille : “Ces objets sont des faux, les vrais sont cachés… Avec les Français c’était bien, maintenant c’est fini…”



À voir également, le musée des Beaux-arts, beau bâtiment colonial, qui expose de nombreuses sculptures et peintures des années 40 à nos jours. La période communiste pure et dure vaut le détour.




[Les rues sont sonorisées]



Hanoï, 19 mars 1993


Pour résumer la journée : ÇA CAILLE !
Ce matin, arrivée ponctuelle en gare d’Hanoï, après un petit déjeuner de soupe de riz au poulet.
À peine sortons-nous de la gare qu’une pluie violente s’abat sur nous et nos sacs à dos non imperméables ! Les “taxis” en profitent pour nous imposer des tarifs d’Américains. Direction l’hôtel Trang-Tien. Complet. Celui d’à-côté l’est également.
N’écoutant que son devoir, le courageux François revêt son K-Way et part en cyclo bâché à la recherche de notre gîte du soir, pendant que je reste au chaud à la réception du Trang-Tien. Les routards savent qu’Hanoï compte peu d’hôtels bon marché. Nous pouvons confirmer !
François revient au bout d’une heure, il a trouvé une chambre chez des particuliers qui ont depuis peu le droit de louer aux étrangers. Un tuyau que des routards nous avaient donné il y a quelques jours. Nous repartons sous la pluie toujours battante. Il fait vraiment triste et froid à Hanoï !

L'influence française et soviétique...


Suite de la journée : recherche d’informations sur les moyens de transport et les visites - ici, c’est au Darling Café qu’il faut se renseigner -, demande de visa pour le Laos, reconfirmation du vol sur Vientiane, et réservation de places dans le minibus de Vietnam Airlines qui va à l’aéroport - trente kilomètres quand même !



Retour dans la chambre où je commence à apprendre quelques mots de vocabulaire utiles dans la vie quotidienne : grâce, ou à cause de la France, le Vietnam a adopté l’alphabet latin, ça donne l’impression de pouvoir tout comprendre ; trung op-la (œufs au plat), pho-mat (fromage), banh mi (pain), so-co-la (chocolat), bia (bière), ca-phé (café). On peut se nourrir en parlant français. Mais pour le reste, les cinq accents toniques qui changent la prononciation et le sens des mots me laissent entrevoir de grandes difficultés.


Homme aux dents vitrifiées


C’est comment Hanoï ? D’abord c’est froid et pluvieux, ensuite c’est vraiment communiste : maisons en décrépitude, grands magasins d’Etat aux très larges allées et petits comptoirs présentant tristement des marchandises des années 50. Les habits ont des couleurs gaies : bleu marine, gris foncé, beige, kaki.
Les gens, comparés à ceux du Sud paraissent coincés devant les étrangers - les camps de rééducation ne sont pas si loin -, la police est omniprésente.
Ce n’est que le premier jour, attendons la suite !


Dans le train entre Hué et Hanoï, 18 mars 1993

Aujourd’hui, 18 mars, date importante ! Pour nous ! Voilà déjà six mois que nous nous sommes envolés pour Delhi ! Nous rêvassons sur la couchette du bas : c’est plus facile qu’on le croit, de voyager plusieurs mois. D’ailleurs ce n’est plus du voyage, c’est une autre façon de vivre qui apparemment nous convient bien.


Dans quelques heures, nous passerons le fameux 17e parallèle qui séparait le Nord du Sud et qui connut les bombardements au napalm les plus violents de la guerre du Vietnam. La jungle qui poussait ici ressemble encore à une forêt de bonsaïs. Que dire des populations ?



Il est 16 heures 30, nous roulons depuis une demi-heure, on nous apporte déjà le dîner : dans la gamelle du haut, cela ressemble à du porc et du chou, dans la gamelle du dessous, c’est du riz blanc. Espérons que le petit déjeuner ne sera pas servi ce soir !
Le crachin, caractéristique du Nord au mois de mars, n’a pas attendu le 17e Parallèle pour envelopper le paysage de grisaille.

Hué, 16 mars 1993



Nous sommes dans l’ancienne capitale impériale : c’est maintenant une petite ville au charme provincial, très verte et reposante. Pratiquement pas de voiture, peu de mobylettes, mais plein de vélo-pousse et de bicyclettes. Son passé est riche en histoire : une cité impériale, les tombeaux des empereurs N’Guyen, nous avons enfin du pain sur la planche !

Cependant, notre première visite est pour la gare : essayons de trouver deux couchettes molles pour le trajet de nuit jusqu’à Hanoï. C’est plus rapide que prévu, et nous quittons la gare au bout de dix minutes avec nos billets en poche pour le 18. Le trajet de 688 kilomètres se fait en 17 heures seulement. Il y a peu, ce voyage nécessitait entre 21 et 23 heures ! Y’a du progrès !


Homme pêchant des mollusques dans les douves de la Cité Interdite


Belle journée de visites, mais quelle chaleur !



Ce matin, notre chauffeur nous emmène jusqu’à la cité Pourpre Interdite. Nous ne sommes que quatre. Mais où sont passés les autres ?


Une des portes de la cité Interdite

Les Israéliens nous ont quittés, il y a déjà trois jours, pour remonter plus vite vers Hanoï, le Danois nous a lâchés hier matin, terrassé par des douleurs intestinales, l’Allemande, infirmière de son état, est restée avec lui pour le soigner, le Suisse alémanique a pris l’avion ce matin pour Hanoï, il pense déjà à la piscine du YMCA de Singapour qu’il va rejoindre au plus vite. Il ne reste que le couple suisse romand, et nous deux. Les francophones sont majoritaires aujourd’hui !



La cité Pourpre Interdite, presque entièrement détruite pendant l’offensive du Têt en 1968, a été transformée en immense jardin potager. Il ne reste que des ruines et des fondations, mais aussi une bibliothèque en restauration au beau toit décoré d’une multitude de personnages chinois en porcelaine blanche et bleue.





En revanche, la cité Impériale, en cours de rénovation, offre de belles toitures aux tuiles vernissées oranges et vertes, et une salle du trône or et rouge, où un orchestre traditionnel fait des répétitions.





[Musique traditionnelle]


Service de la voirie de la Cité Interdite


Maintenant, en route pour les tombeaux des empereurs, à quelques kilomètres de Hué, au bord de la rivière des Parfums. Avec la chaleur, je sens que je ne vais pas aller jusqu’au bout !


Le mausolée avec le timbre correspondant

Pour Tu-Duc, ça va encore, mais les mausolées sont immenses, avec de grandes cours pavées, plusieurs pavillons, des temples, des stèles, des alignements de statues, des jardins. J’ai abdiqué devant Dong-Khan, et la petite Suissesse devant Khai Dinh !


Pagode Thieu Mu

Danang, 15 mars 1993



Les héros sont fatigués ! Ils ont fait le repérage du prochain Indiana Jones !
Voici un extrait du script : la scène se passe près de Danang. En bord de mer, au milieu des potagers et des cultures, se dressent les Cinq Montagnes de Marbre.
Indy, poursuivi par les méchants, grimpe quatre à quatre les 170 marches qui mènent à l’entrée de la Montagne d’Eau. À l’intérieur, une immense grotte uniquement éclairée par les rayons du soleil passant par trois ouvertures, trente mètres plus haut. L’un des rayons tombe sur une statue de pierre de Bouddha, devant laquelle une main inconnue a posé des offrandes ; l’air est empli de fumée d’encens qui brûle ça et là sur de petits autels.
Toujours poursuivi par les méchants, Indy cherche une autre sortie ; soudain, là-haut, il remarque une faible lumière, il grimpe un éboulis de pierre et s’engage avec difficulté dans un étroit boyau qui le mène à l’air libre… au sommet de la montagne ! La vue est magnifique, mais notre pauvre Indy n’a pas le temps d’admirer le paysage, il doit poursuivre son chemin en descendant à flanc de montagne ; il s’accroche aux rochers et aux arbustes, car aucun sentier n’existe ici ! À suivre…

Oui, j’ai suivi le même chemin qu’Indiana Jones, moi, le partisan du moindre effort. Une heure à transpirer dans cette expédition impromptue menée par un petit vendeur de bouddhas de dix ans (c’est le vendeur qui a dix ans, pas les bouddhas !)
Si j’aurais su…


Vieux fourgons Renault pour le transport local

Hoian, 13 mars 1993

Deux jours que nous roulons sur des routes en piteux état. Nous nous félicitons du choix du minibus, car nous croisons ou doublons un bus en panne toutes les heures !
Notre attention se reporte sur les paysages : fermes peintes en bleu pâle, toits de tuiles orange enfouis sous les cocoteraies au milieu des rizières, très beaux points de vue sur la mer de Chine bordée de plages désertes et de petits ports au creux des baies. Partout, c’est la récolte du riz.

Casse-croûte baguette



Hoian est une petite ville d’atmosphère en bord de mer avec ses maisons du xvie au xixe siècle ayant appartenu à de riches négociants. Quelques pagodes chinoises. Comme dans toutes les villes que nous avons visitées, le marché est très authentique : ici, les femmes arrivent avec leurs barques pour vendre ou acheter du poisson frais et des légumes, de tous côtés on voit s’agiter les chapeaux coniques encore très usités au Vietnam, et qui protègent les peaux claires du soleil. La mode n’est vraiment pas au bronzage en Asie, c’est une notion totalement occidentale.


Ce soir, une nouvelle expérience culinaire nous mène vers un minuscule restaurant tenu par deux vieilles dames. Elles concoctent une spécialité locale composée de grosses pâtes, lamelles de viande de porc, galette de riz et herbes diverses, le tout accompagné de morceaux de baguette revenus avec de la couenne de porc. Pas très diététique, mais bien digéré !




Un coup d’œil sur la télévision locale à la réception de l’hôtel : tous les reportages à l’étranger viennent de BBC Asia, TF 1, France 2 et 3, et de chez les copains russes de NTA.
Lorsque nous voyons Georges Marchais, interrogé par Bruno Masure, déclarant qu’il fallait bien expliquer aux Français les trois raisons pour lesquelles ils devaient voter communiste, nous étouffons un fou rire par égard pour les Vietnamiens autour de nous !
Le présentateur du journal a un petit air à la Jaruzelski, avec ses lunettes teintées, et sa consœur, moulée dans son costume traditionnel a bien du mal à lire son texte avec discrétion ! Point de téléprompteur ! Mais laissons-leur le temps !




Un bruit court sur des événements survenus à Saigon en relation avec le Cambodge : armée en état d’alerte, mouvements de chars. Nous en savons sûrement moins que vous, car le chauffeur ne veut rien dire, et la télé n’en parle pas. (Nous avons appris bien plus tard, que le gouvernement avait réagi à l’assassinat de dizaines de pêcheurs vietnamiens vivant au Cambodge.)



Quinhon, 12 mars 1993


Ville étape peu intéressante mais après 6 heures de bus et 238 km ça fait du bien de s'arrêter.
Promenade au marché, très animé.



Nhatrang, 11 mars 1993

Cham (hindouiste) sur le site de Poklong


La route entre Dalat et Nhatrang est très chaotique. En chemin, beaux paysages de marais salants et de rizières à divers stades : labourage par des buffles, repiquage, moisson, battage, séchage.





Nhatrang est une station balnéaire sur la mer de Chine. La plage, longue de plusieurs kilomètres accueille surtout des touristes vietnamiens fortement intrigués par les maillots en lycra, eux qui ne connaissent que les shorts en nylon dissimulant les formes. Les filles quant à elles ne se baignent qu’en pantalon et chemise. Inutile de préciser que nous avons écourté notre promenade en maillot sur la plage.

[Musique traditionnelle]



Dalat, 8 mars 1993



Nous commençons notre grande montée vers le Nord dimanche dernier : dix jours en minibus pour rejoindre Hué, l’ancienne capitale impériale, via Dalat, Nhatrang, Quinhon et Danang, avec un chauffeur parlant anglais.
Nous sommes neuf routards réunis pour le meilleur et pour le pire : un Danois, une Allemande, un Suisse alémanique, un couple suisse romand, 1 couple israélien, et nous, qui sommes les plus âgés.
Le soir, lorsque nous arrivons à l’étape, le chauffeur nous propose un hôtel que nous allons visiter, s’il convient nous nous y installons, sinon nous en visitons un autre. Ici, nous visitons trois hôtels, et le groupe se scinde finalement en deux… Chauffeur pas content, touristes emmerdants !


Depuis que nous avons quitté Saigon, pas de grandes découvertes.
Dalat est une ancienne station climatique à 1 500 mètres d’altitude, créée par les Français pour s’y reposer au frais. De nos jours, c’est une destination très prisée des jeunes mariés qui viennent se faire prendre en photo dans la vallée de l’Amour, sorte de parc d’attractions, avec chevaux, barques et pédalos en forme de cygne sur un lac. Les photographes y sont donc nombreux, et transportent divers accessoires destinés à améliorer le look des jeunes femmes, en particulier chapeaux et foulards.

[Ambiance occidentale à Dalat]



Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...