C'est l'histoire d'un couple qui, arrivé dans la quarantaine, s'organise pour partir un an, en congé sabbatique, sac au dos, en Asie.
Petit détail : ceci s'est passé en 92-93 !
Après relecture de Routards & Cie, que Sally avait rédigé à notre retour, nous avons décidé d'en faire un blog d'une durée d'un an en respectant le texte original et sa chronologie afin d'y retrouver les émotions de l'époque.
Les 675 photos, les 65 documents scannés, les 12 dessins, les 125 vidéos et les 95 enregistrements sonores sont d'époque aussi.
Bonne lecture !

Singapour, 30 mai 1993

SINGAPOUR (2)
Petit à petit, Singapour remplace Bangkok. Nous commençons à connaître le mode d’emploi de la ville. Dommage que nous n’ayons pas encore trouvé notre nouveau “home”, et que les prix soient si élevés.



Beau temps sec sur Singapour. En routards avertis, nous prenons le bus 390 à l’aéroport car il nous dépose à cinq minutes à pied de Bencoolen Street.
Nous nous dégotons un nouvel hôtel, le San Wah, peut-être le bon cette fois ! Il s’agit d’une vieille maison chinoise d’une dizaine de chambres, avec des bougainvillées au-dessus de l’entrée et des oiseaux qui gazouillent dans les arbres.
Dessin d'une maison chinoise

Le propriétaire, qui a 89 ans, met vingt bonnes minutes à nous inscrire sur le registre, mais il réussit à nous faire payer deux nuits d’avance. Il est fortiche, le pépé !

Medan, 29 mai 1993


Passage obligé à Medan, juste pour acheter un billet d’avion ; la ville est laide, bruyante, et polluée par une circulation folle. La plus moche depuis le début du voyage !
Nous quittons Sumatra, et laissons derrière nous le harcèlement touristique, les moqueries, les quolibets et les rires gras qui nous ont accompagnés pendant près de trois semaines… On n’en peut plus des “Hello Mister ! Where you go ?

Tuk-Tuk, 27 mai 1993

Séchage du riz à Tomok

Le ciel est bien couvert ce matin, mieux vaut attendre une éclaircie avant de se risquer dans une promenade de plusieurs kilomètres…
J’en profite pour vous parler de Tuk-Tuk, petite avancée sur l’Île de Samosir. La route qui longe le lac est bordée de dizaines de losmens, restaurants et boutiques tenus par des familles bataks, les ex-cannibales !
C’est dire que Tuk-Tuk est une concentration de routards. Mais n’exagérons rien, les losmens possèdent en moyenne cinq chambres, souvent construites sous la forme de petites maisons traditionnelles : construction de bois, toit de tôle. Il fait très sombre à l’intérieur car les fenêtres des maisons bataks sont étroites ; c’est pourquoi, nous avons opté pour une chambre “occidentale”. Les prix sont étonnamment bas, puisque nous payons seulement l’équivalent de dix francs par jour pour une belle chambre avec douche et toilettes !
Nous estimons à une centaine le nombre des routards disséminés dans les losmens, c’est le grand calme sauf que…



Certes, nous avons bien remarqué les antennes paraboliques neuves qui ponctuent le paysage de taches blanches. Aujourd’hui, c’est le poste de télévision qui fait son entrée triomphale dans la salle de restaurant. Le fils du patron zappe comme un fou : CNN, MTV, BBC Asia, MTV, CN… BB… MTV, Michael Jackson ! Vive la civilisation ! Impossible de passer la moindre commande, les serveurs ne nous entendent plus, et nous, nous n’entendons plus les grenouilles et les criquets !

Il existe à Tuk-Tuk un endroit sympathique et chaleureux : c’est une petite librairie d’occasion, Gokhon Library,  tenue par une Australienne mariée à un Indonésien. Elle prépare tous les jours du pain bis dans son four, ainsi que des gâteaux au chocolat, à la cannelle, au gingembre et à l’orange, hum !



Nous dégustons ses œuvres, attablés au-dessus des eaux du lac, en regardant passer les bateaux et en sirotant un thé ou un jus de papaye. Belle récompense après quelques heures de marche.
Les autres boutiques sont moins intéressantes : faux batiks et ikats, statuettes de bois, calendriers bataks mais surtout un produit de première nécessité, le papier hygiénique qui n’est jamais fourni dans les losmens.




Tuk-Tuk, 26 mai 1993


En suivant la route principale d’un côté ou de l’autre de Tuk-tuk, nous arrivons dans les villages les plus touristiques de l’île, Tomok et Ambarita.
Ici, à Sumatra, dans une contrée où l’on coupait encore les têtes il y a quelques décennies, les bateaux de Prapat déversent leur cargaison de victimes consentantes : ils viennent dépenser leurs dollars dans des dizaines de boutiques d’artisanat. Le visiteur est accueilli par de larges sourires.
- Hello Mister ! J’ai tout ce que vous cherchez, entrez dans ma boutique et regardez, disent les vendeuses.
Il entre, tâte un tissu, demande les prix.
- OK ? Vous achetez ?
- Non, je vais voir une autre boutique, répond-il.
Le sourire disparaît :
- Mais oui, c’est ça, allez voir ailleurs ! Suit une phrase incompréhensible en indonésien.
Et le même scénario se répète cent fois par jour.


À vingt kilomètres de Tuk-Tuk, Simanindo : un musée en plein air présente de belles maisons bataks. Pas facile de s’y rendre par les transports en commun, mais très facile de faire du camion-stop car les chauffeurs sont bien contents de se faire un petit supplément !
Effectivement, les maisons bataks sont fort belles et anciennes. Comment les décrire ? Ouvrez donc une brochure de voyage à la page de Sumatra !



Sur le chemin du retour, un minibus archibondé s’arrête au bord de la route pour nous embarquer. Une roupiah, c’est une roupiah ! On crève un peu plus loin, on repart, on se traîne jusqu’à Tuk-Tuk.






Détail d'une maison batak

Tuk-Tuk, Lac Toba, 24 mai 1993



Après une nuit calme de traversée, nous reprenons un bus local en direction de Prapat et du lac Toba. La route de montagne est toujours aussi magnifique, mais fatigante à cause des lacets qui nous balancent de droite à gauche, puis de gauche à droite.
Dans le bus, la plupart des Indonésiens sont malades ; ils crachent ou vomissent dans des petits sacs en plastique qu’ils jettent ensuite par la fenêtre. Je suis moi-même sur le point de succomber pendant toute une partie du voyage à cause des odeurs et des bruits… Nous arrivons enfin à Prapat où il pleut à verse.
Ce matin, courte traversée jusqu’à l’Île de Samosir, au milieu du lac Toba, où nous nous reposons. De quoi, on se le demande ?



Nias, 22 mai 1993



La nuit porte conseil… Un bateau part ce soir vers Sibolga, nous décidons de quitter Nias, avec ou sans zoom.
Devenons-nous paranos ? L’ambiance nous semble pesante ; à plusieurs reprises Ian nous presse de payer. Nous craignons même de nous faire voler de l’argent dans le bungalow ! Pas facile de se baigner avec un œil rivé sur notre porte !
Nous racontons notre histoire à d’autres touristes et au chef de village qui fait une drôle de mimique en entendant le nom de Ian… Ian qui nous surveille de loin, et voyant que nous nous approchons du poste de police, finit par nous rejoindre, suivi de près par l’intermédiaire : “Je vais aller chercher le zoom, nous dit-il, combien me donnez-vous ?”
- Rien avant de l’avoir vu ! insiste François.




L’après-midi, deux motos nous emmènent à Teluk Dalam avec nos bagages, mais sans le zoom.
Épilogue : à 18 heures, l’intermédiaire nous retrouve en ville dans notre chambre de losmen - le bateau ne part qu’à minuit. Il nous rapporte le zoom en parfait état : c’est seulement l’étui qui est endommagé. Il nous souhaite bon voyage et nous quitte tout heureux d’avoir empoché la “récompense”.

Nias, 21 mai 1993

Ian's Bungalows avec notre "home" à droite


Journée, disons, mémorable ! 
Ce matin, nous partons sur deux motos-taxis jusqu’à Teluk Dalam pour essayer d’y prendre un minibus vers d’autres villages que nous désirons visiter.



Arrivés en ville, nous nous apercevons que le sac à dos de Picou, qui roulait derrière moi, est grand ouvert, et qu’il a perdu son zoom quelque part sur les douze kilomètres du trajet. Nous repartons vers Lagundri Beach pour essayer de le retrouver, autant chercher une côte de porc dans un restaurant musulman !
L’un des deux motards, Ian, qui est aussi le propriétaire de notre losmen, fait fonctionner le téléphone arabe en parlant du zoom à tous ceux que nous croisons.


Déjà, en début d’après-midi, la recherche semble porter ses fruits : Ian apprend qu’un de ses amis, appelons-le l’intermédiaire, sait qui a retrouvé le zoom : c’est un homme qui vit dans un village retiré, il réclame 25 000 roupiahs (12 $) pour nous rendre l’engin.
- Voyons le zoom d’abord pour vérifier son état, nous réglerons après ! dit François
Je me demande si le zoom a vraiment été retrouvé, et j’ai l’impression que tout le monde va essayer de profiter de la situation. L’histoire des billets de bateau nous a rendus méfiants !

Nias, 20 mai 1993

Enfants à la fenêtre d'une maison traditionnelle


C’est vraiment le pied ici ! Jusqu’à ce matin, nous étions les seuls clients du losmen qui compte quelques bungalows sur la plage. Tout est calme, et l’on se laisse bercer par le perpétuel bruit des vagues, assis sur notre terrasse.
Les enfants qui vendent des fruits viennent nous tirer de notre rêverie : les ananas sont succulents, les minuscules bananes ont une saveur inconnue, et les mangues exhalent un tel parfum qu’elles embaument notre chambre !


Promenade jusqu’au village voisin de Bohohilitano. On y accède à pied par un chemin dallé de pierres inégales qui grimpe le long d‘une colline en passant devant des églises catholiques et des temples protestants d’où s’élèvent des chants. Les femmes portent leurs habits du dimanche, une tunique de dentelle rose ou blanche et un sarong qui leur donne une fine silhouette, leurs longs cheveux brillants sont relevés en chignon ; les fillettes sont maquillées de poudre blanche sur le visage, de rouge sur les lèvres, et de kohl sur les sourcils. Aujourd’hui, au fin fond de l’île de Nias, on fête l’Ascension !

[Messe de l'Ascension]


Enfants sur les marches de l'église


Le village, qui domine notre baie, se compose d’une seule et large rue droite, bordée de chaque côté par des maisons en rondins de bois, sur pilotis croisés ; les toits, où se découpe un vasistas ouvert, sont couverts de chaume.


Maisons de Bohohilitano

De tous côtés, des enfants accourent pour nous voir ; certains, plus agressifs, nous crient de ne pas prendre de photo : en effet, les groupes de touristes qui visitent le village doivent d’abord faire une “donation” au chef de village pour avoir le droit de prendre quelques photos. Nous échappons aux formalités grâce à notre vendeur attitré de bananes qui habite ici.


Rue principale de Bohohilitano

Nias, 19 mai 1993



La vie n’est pas rose tous les jours… ce matin, elle est turquoise ! C’est la couleur de l’océan, devant nous.
Nous sommes au fond d’une grande baie ronde, toute bordée de cocotiers ; à l’arrière-plan, des collines recouvertes de végétation et de rizières d’un vert plus pâle.

[Vendeuses sur Lagundri Beach]


La plage doit bien faire ses cinq kilomètres, et les rencontres y sont plutôt rares : un surfeur australien avec sa planche sous le bras et de la crème protectrice sur le nez, les joues et les lèvres, des enfants qui vendent des fruits et des souvenirs. Un peu collants les mômes !

Nias, 18 mai 1993

Pour arriver jusqu’ici, 24 heures de voyage et quelques surprises… Nous quittons Bukittinggi par le “tourist bus” qui nous dépose à quatre-vingts kilomètres du port de Sibolga où il était censé passer… d’après les explications souriantes du vendeur.

[Musique dans le bus de Sibolga]

Pleins d’espoir, nous montons dans un bus local apparemment prêt à démarrer. Comme d’habitude, il fait dix fois le tour de la ville. Malheureusement, le racolage n’est pas assez efficace, retour à la case départ ! Re-changement de bus, et départ immédiat car nous occupons les deux derniers sièges libres. C’est parti !
Les hommes fument tous des kreteks, des volailles piaillent sous les sièges, une vieille mastique son bétel, une autre vomit dans son sac grand ouvert… et la radio nous envoie la musique à tue-tête.

Quand la route s’élève, la pluie se met à tomber. Nous nous apercevons alors que le car n’a plus d’essuie-glaces, que les vitres coulissent mal, et que le toit n’est pas étanche. Quel spectacle ! Tous les passagers qui ne sont pas en train de vomir s’efforcent de colmater ou d’éponger les fuites avec les rideaux !
On a traversé la montagne, il ne pleut plus, c’est l’heure du coucher du soleil et de la première panne, suivie de deux autres.




Enfin, Sibolga. Quelqu’un nous signale déjà qu’un bateau part ce soir vers Teluk Dalam, le port du sud de Nias. Bonne nouvelle, car c’est là-bas que nous voulons nous rendre.

Vite, on prend deux cyclos et on fonce acheter les billets en ville au bureau de la compagnie. Trop tard, c’est fermé. Le cyclo frisé, qui semble être le chef, nous explique qu’il faut maintenant se procurer les billets au port.
En route, il nous fait acheter de quoi dîner, car il n’y a pas de restaurant à bord. “N’oubliez pas votre traitement contre le paludisme, et votre moustiquaire.” ajoute-t-il. Il prend bien soin de nous, le cyclo !

Direction le port, le cyclo nous fait acheter les taxes portuaires, nous achèterons les billets à bord auprès du capitaine ; entre-temps il nous fait écrire nos noms, adresse, nationalité et numéros de passeports sur un morceau de papier.


Fleur d'hibiscus

Nous embarquons sur le petit bateau de passagers, une dizaine de cabines au pont supérieur ; au pont inférieur, on dort par terre.


Toujours accompagnés de notre mentor, nous attendons l’arrivée du capitaine sur le pont supérieur ; le voilà qui arrive et qui se met à hurler : “Que tous ceux qui n’ont pas de billets retournent à terre… sauf Monsieur, ajoute-t-il en désignant François. Alors vous voulez une cabine, et vous n’avez pas de billet ? Ça va vous coûter cher, je vais devoir retarder le départ pour aller l’acheter ; vous feriez mieux de prendre le prochain bateau dans deux jours !”
- Maintenant que nous sommes ici, nous n’allons quand même pas redescendre, qu’on se dit sans se parler.
- Alors ? C’est 25 000 roupiahs par personne, à prendre ou à laisser ! annonce le capitaine.
Le prix officiel du billet étant de 16 000 roupiahs, François entame la négociation devant l’œil amusé d’une dizaine de passagers locaux et occidentaux.
Finalement, il transige à 20 000 roupiahs, tout en commençant à comprendre que nous venons de nous faire arnaquer en beauté ! Le capitaine” ne nous remet pas de billet, mais lance un ordre à un membre d’équipage qui vient nous ouvrir une cabine !


Le “Capitaine” disparaît, et le frisé vient gentiment nous demander si nous avons encore besoin de ses services ! Au revoir, merci de nous avoir roulés dans la farine !
Grâce à nous, des dizaines de personnes vont faire la fête ce soir : les cyclos, le personnel aux guichets de la compagnie, le “capitaine”, et l’équipage. Car tous sont de mèche, et nous avons été les victimes et les acteurs involontaires d’une astucieuse mise en scène. On en rit encore, en se demandant comment on a pu être si naïfs. Mais dans le feu de l’action…

Nous voici partis pour une nuit de navigation, ça roule ou ça tangue, c’est supportable quand on reste couchés. Se rendre aux toilettes, c’est autre chose !


Nous arrivons à peu près dispos à Teluk Dalam. Les hôtels les plus proches sont à douze kilomètres à Lagundri Beach ; il n’y a pas de bus, seulement des camions occasionnels, alors nous finissons sur les sièges arrière de deux motos et parcourons le chemin, mâchoires et fesses serrées sur une piste défoncée. 
Décidément, je ne m’y fais pas !


Bon d'accord, ça valait le coup !

Bukittinggi, 16 mai 1993



Aujourd’hui, trekking guidé dans le canyon voisin. J’aurais mieux fait de réfléchir avant de m’embarquer dans cette histoire… Je sais pourtant que je ne suis pas une superwoman !




Dénivellation de plus de cent mètres pour atteindre le fond du canyon, la falaise tombe presque à pic, mais un chemin en lacets permet de descendre en sécurité. Ça va. Au fond du canyon, nous suivons le cours d’une petite rivière ; je commence à faire la gueule, mes chaussures ne sont pas faites pour marcher dans l’eau… Et maintenant le pompon ! Escalade du versant opposé par un sentier escarpé rendu boueux et glissant par les pluies de la veille, de l’avant-veille, de l’avant-avant-veille… Il n’existe pas de saison sèche à Sumatra. J’en ai assez de m’étaler dans la boue, je peste contre moi-même, je dégouline de transpiration, mes lunettes sont embuées, mon sac à dos me gêne. Ça fait dix minutes que j’ai envie de pleurer un bon coup. J’y vais, ça me fera du bien !
Mes dernières feuilles de PQ épongent mes larmes et ma sueur pendant que Picou me réconforte d’un bras protecteur. Ça me redonne un peu de courage pour les dernières glissades. Arrivée là-haut, je suis couverte de boue.



Une pause bienvenue dans le village de Pisang (banane), où quelqu’un nous offre des bananes, à l’ombre des bananiers où nous nous reposons.
Un peu plus loin, un village où l’on fabrique des balais avec la fibre qui entoure le tronc d’une variété de palmiers, puis un arrêt dans des rizières où les paysans égrènent le riz en le triturant avec les pieds. Là aussi, on nous offre des bananes, cuites dans leur peau !


C’est après le déjeuner que les premières gouttes de pluie nous surprennent en plein milieu des rizières. Vite le K-Way, et nous continuons à marcher en équilibre sur les petits remblais qui séparent les parcelles, et qui deviennent de plus en plus gadouilleux… J’enlève mes mocassins car ils restent pris dans la boue à chaque pas, et je poursuis pieds nus. Agréable sensation que celle de la boue tiède qui s’infiltre comme une anguille entre les orteils !
Après un bain de pieds, de chevilles et de chaussures dans un ruisseau d’irrigation, nous regagnons la route et arrêtons le premier bemo qui passe. Retour à l’hôtel.

[Appel à la prière]

Nos mocassins ont une drôle de tête ce soir ; tout gorgés d’eau, ils ont doublé de poids !

Bukittinggi, 15 mai 1993





Comme le dit si bien François : “Pour avoir une végétation pareille, il faut bien qu’il pleuve !” Donc, il pleut depuis deux jours, depuis le départ de Padang.



C’est là-bas que nous passons pour la première fois l’épreuve du bus local indonésien. Autre pays, autres mœurs ! Nous mettons plus d’une heure à quitter la ville, car le chauffeur et son acolyte vendeur de tickets draguent sur les grandes artères pour remplir le bus. Nous couvrons nos cent dix kilomètres en deux heures et demie, ce qui est tout à fait honorable, sous la pluie et en montagne.



À la descente du bus, nous sommes aussitôt pris en mains par un rabatteur de bemos, qui nous dépose devant une guesthouse recommandée par le Routard. Accueil très sympathique, jolie chambre, tout va bien.




À mille mètres d’altitude, la température est agréable dans la journée, mais le taux d’humidité est très élevé : le teinturier garantit de rendre le linge en trois jours maximum !




Belle excursion organisée dans la région du Minangkabau : rizières, champs de canne à sucre, caféiers, canneliers, girofliers, et belles maisons dont les toits superposés rappellent les cornes de buffles dont ils s’inspirent.

Grenier à riz du palais Pagaruyung

Arrière du palais Pararuyung

Maison traditionnelle



Pour couronner la journée, la pluie se remet à tomber pendant le combat de buffles, spectacle très apprécié des hommes de la région. Mais pour nous, le spectacle est dans la foule des hommes massés sur les gradins et fumant à qui mieux mieux des kreteks. D’autres, plus intrépides, forment un cercle autour des deux buffles qui entament le combat dans un tête-à-tête musclé ; dès que l’un d’eux a un mouvement trop brusque, la foule se met à courir dans tous les sens !

Spectateurs du combat de buffles

Spectateurs du combat de buffles

Padang, 13 mai 1993

INDONÉSIE
Ce fut notre premier voyage organisé en Asie, pendant l’été 1985. Nous avions été complètement séduits par ce pays, et étions impatients d’y retourner. Le voyage vers les îles les plus orientales devait être, dans notre esprit, le point culminant de notre année.


Je vous écris de l’hémisphère sud ; sans faire attention, nous passons la ligne symbolique de l’équateur pendant le vol Singapour-Padang. Cela ne nous tourne pas la tête, pas de champagne pour fêter l’événement !



Premiers contacts avec Sumatra : ici, à l’ouest, ils sont musulmans, au nord, ils sont chrétiens, nous verrons plus tard. L’accueil est aussi chaleureux qu’en Malaisie : les enfants crient “Hello Mister” à cent mètres, les parents agitent le bras de leur dernier né pour nous dire bonjour, et les lycéens nous arrêtent dans la rue pour tester leur anglais.
Nous sommes étonnés par le nombre d’antennes paraboliques qui fleurissent sur les toits des maisons. Ça ne colle pas avec l’image de forêt vierge que nous nous faisions de Sumatra…

Singapour, 12 mai 1993



Depuis notre dernier passage, en janvier 1989, la ville a considérablement changé : Orchard Road, la grande artère commerçante a été épurée de ses petites boutiques et de ses vendeurs à la sauvette, qui ont laissé place à d’immenses immeubles à l’architecture débridée, abritant hôtels de luxe, bureaux et centres commerciaux détaxés.
En revanche, on ne détruit plus les vieilles maisons chinoises, et des blocs entiers font l’objet d’une rénovation poussée dont les résultats rappellent Disneyworld : des restaurants, cafés et magasins de souvenirs aux façades pimpantes remplacent les sombres petites boutiques aux effluves d’épices, et au bric-à-brac exotique.
Le fameux hôtel Raffles a été entièrement restauré : il est tellement beau et luxueux que nous n’osons pas aller le visiter avec nos vieux T-shirts délavés sur le dos…


Nous habitons Bencoolen Street, la rue des guesthouses. Inutile de vous dire que les prix n’ont plus rien à voir avec la Malaisie, la Thaïlande ou l’Inde.
Première nuit au Waterloo Hostel dans l’immeuble du Catholic Welfare Center. Sur les boîtes aux lettres, au rez-de-chaussée, nous découvrons les noms des locataires : Catholic News, nonciature catholique, société Saint-Vincent-de-Paul, archevêché de Singapour, et consulat du Portugal.
Sur les paliers de chaque étage, c’est la guerre des religions : les posters de Jésus et de la Vierge Marie, contre ceux de Ganesh et Krishna, car l’hôtel est tenu par des hindouistes… Première nuit, donc, à 60 Singa $ pour une belle chambre avec air conditionné et télévision. Toilettes et douches communes impeccables.


Deuxième nuit dans un établissement plus basique situé dans un immeuble d’une dizaine d’étages uniquement occupé par trois guest-houses. Le va-et-vient est continuel à la réception, où les uns font la queue pour payer leur chambre au jour le jour, et où les autres achètent des billets d’avion à prix réduit. Une agence est installée dans les lieux. Pratique pour acheter nos billets pour Padang !



Singapour, 11 mai 1993

SINGAPOUR
 Nous y sommes déjà passés 3 fois dans les 10 dernières années. Pour nous, c’est une ville de shopping de luxe sans véritable intérêt.



Nous voici dans la ville la plus propre du monde ! Oui, Singapour est très clean : lorsqu’on risque une amende de 500 à 1 000 dollars de Singapour (1 Singa $ = 3,40 francs), il faut faire attention au moindre de ses gestes.
Le Singapourien ne peut RIEN jeter par terre ; papiers, mégots et autres ordures doivent être jetés dans les poubelles munies de cendriers qui fleurissent à tous les coins de rue. Le chewing-gum qui colle aux trottoirs et laisse des traces n’est plus en vente ici !
Dans le métro, interdiction de fumer, de manger, de boire et de transporter des durians qui empesteraient la rame entière. Avant d’entrer dans une banque, il est fortement recommandé d’ôter ses lunettes de soleil, et éventuellement son casque moto.
Attention aux détecteurs d’urine dans les ascenseurs, et aux policiers invisibles, car ils sont en civil !



Côté circulation, discipline, discipline ! La vitesse sur autoroute est limitée à 80 kilomètres / heure ; lorsqu’un chauffeur de taxi qui rentre de l’aéroport dépasse cette vitesse, une petite sonnerie sur son tableau de bord vient le rappeler à l’ordre.
En ville, les feux sont scrupuleusement respectés par les automobilistes qui s’immobilisent au bord d’une ligne blanche. Les piétons, quant à eux, traversent entre deux lignes jaunes et surtout pas au feu vert, même si la circulation est inexistante.
À certains carrefours, un chant d’oiseau retentit pour avertir les piétons distraits - ou aveugles ? - qu’il est temps de traverser…
Le point sur la circulation : c’est pratiquement fluide à toute heure de la journée. Dans le centre, qui est “restricted zone” pendant les heures critiques du début de la matinée et de la fin de l’après-midi, stationnement interdit, et vignette spéciale pour circuler. Beaucoup de bus sillonnent la ville, et n‘oublions pas les deux lignes du luxueux métro à air conditionné.

[Puja au temple Sri Mariammam]


Aucun panneau publicitaire ne vient déparer le paysage urbain. Ce sont les autobus qui sont chargés de promener les pubs à travers la ville, bus entièrement repeints selon les annonceurs…
Comme vous l'avez compris, les trottoirs sont propres, et les nombreux espaces verts soigneusement entretenus, à bon prix, par des Malais et des Indiens. Mais inutile d’arroser les plantes, la chaleur et l’humidité ambiante suffisent à leur donner bonne mine.


Journal  existant depuis 1845


P.S. M. et Mme Danletat sont heureux de vous annoncer la naissance d'Alphonse !

Pulau Kechil, 8 mai 1993



Y’a quand même un hic ici ! 
L’approvisionnement qui se fait dans l’île voisine, Pulau Besar laisse à désirer. Souvent des denrées indispensables viennent à manquer : parfois le riz, parfois les nouilles parfois la glace (qui arrive en gros pains), et parfois même le Coca-Cola, ce qui fait souffler un vent de révolte parmi les aficionados de la bulle, qui doivent alors se rabattre sur le Seven Up. Et le cuisinier… Vraiment pas très doué.


Cependant, la formule buffet du soir attire les clients des deux hôtels voisins. Quelle tambouille ils doivent manger chez eux ! Pourtant, ne vous faites pas de fausses idées sur ce buffet, vous qui êtes peut-être des habitués du Club Med ! Imaginez une table de deux mètres de long, et cinq plats en aluminium, façon cantine : riz, poisson ou poulet, légumes sautés, salade de pommes de terre, chips de poisson. Croyez-moi, il faut arriver à l’heure !!!
Même les varans sont de la partie, eux qui font la navette entre les trois restaurants de Long Beach. Dire que ces carnivores préhistoriques à l’allure paisible sont capables d’escalader un tronc d’arbre à la vitesse de l’éclair et d’avaler tout rond un écureuil imprudent. Attention, quand le varan sort… (jeu de mots !)


Après le coucher du soleil, ce sont les tokays qui sortent. Vous connaissez ? Mais non, pas le pinot gris d’Alsace, le grand lézard coloré au cri répétitif : “Couecko… couecko… couecko…” Chaque matin, les traces ondulantes de dizaines de tokays sillonnent le sable de la plage.
Puisque nous parlons de la plage, on y attend incessamment l’arrivée des premières tortues qui viennent pondre leurs œufs sur cette île entre mai et août. À cette occasion, il existe même une escouade de gardes-œufs qui vont dormir dans une cabane aménagée sur la plage, et veiller à leur éclosion. Il paraît qu’une partie des œufs est vendue sur les marchés…




Ça y est, notre envie de plage est assouvie, et nous n’allons plus visiter les autres îles de la côte.
Cap sur Sumatra, avant de retrouver Véro à Jakarta. Mais auparavant, un petit stop à Singapour…




P.S. Vous êtes au courant pour les Danletat ? Un garçon…
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