C'est l'histoire d'un couple qui, arrivé dans la quarantaine, s'organise pour partir un an, en congé sabbatique, sac au dos, en Asie.
Petit détail : ceci s'est passé en 92-93 !
Après relecture de Routards & Cie, que Sally avait rédigé à notre retour, nous avons décidé d'en faire un blog d'une durée d'un an en respectant le texte original et sa chronologie afin d'y retrouver les émotions de l'époque.
Les 675 photos, les 65 documents scannés, les 12 dessins, les 125 vidéos et les 95 enregistrements sonores sont d'époque aussi.
Bonne lecture !

Paris, 16 septembre 1993

LE RETOUR


Carnet de François qui a triplé d'épaisseur

L’avion se pose avec 30 minutes de retard, les bagages tardent à arriver, et pendant tout ce temps on se demande si quelqu’un est venu nous accueillir. Norbert, presque sûr, Jocelyne, pas possible à cause de l’horaire ; qui encore ?

De l’autre côté, c’est Norbert, Jocelyne, Véronique, Antoine, Serge, Françoise et Jacques qui nous attendent patiemment.
Oh, l’émotion de les voir tous réunis, guettant nos premières réactions, je la ressens encore aujourd’hui ! Nous buvons le verre des retrouvailles et c’est Norbert qui nous dépose chez nous : dans le réfrigérateur, du champagne et un plateau de fromages, sur la table basse un immense bouquet de fleurs. Oui, la vie est belle !

Nous sommes invités chez les Fonfec pour faire la connaissance de la petite Sophie !


Réalisé avec les 675 photos utilisées dans le blog

Delhi, 15 septembre 1993

L'acteur Sanjay Dutt (affiche Gumrah ci-dessous)



Derniers achats de bouquins, cartes postales, on se débarrasse des roupies. Delhi est en effervescence après un attentat qui a fait huit morts.
Ça y est ! La boucle est définitivement bouclée, et les bagages presque.


P.S. Paraît que les Fonfec, nos charcutiers, viennent d’avoir une petite fille ?

Delhi, 14 septembre 1993

Un dernier petit tour au fort Rouge et à la Jama Masjid.

Pierres semi-précieuses incrustées du fort Rouge

Le monde des routards

Après une année de pérégrinations asiatiques, je suis maintenant prête à vous dévoiler les habitudes et les coutumes du monde des routards, un monde qui m’était totalement inconnu. Je me souviens seulement m’être étonnée plusieurs fois, dans les dix dernières années, devant le courage de ces voyageurs transportant des kilos sur le dos et transpirant sous les rayons du soleil en cherchant un hôtel. J’étais alors, à ce même moment, bien à l’abri dans ma voiture climatisée.

Qu’est-ce qu’un routard ? 
Si l’on consulte le Larousse, on apprend que c’est un jeune qui voyage à pied ou en auto-stop avec peu d’argent.
Cette définition remonte à des années révolues, et je peux vous dire que ces routards-là sont en voie d’extinction ; il n’en existe presque plus, je me demande même si nous en avons croisé un seul !
De nos jours, on se déplace en bus, en train et en avion, tout en continuant à s’appeler routard, même si l’on a dépassé 40 ans !
En anglais, le routard s’appelle “backpacker”, celui qui porte son sac sur le dos. Voilà qui se rapproche nettement de la réalité.
Un sac à dos classe d’office dans la catégorie routard. Les locaux, qui savent depuis longtemps faire la différence entre une Samsonite et un sac à dos, le dirigeront automatiquement vers la petite guesthouse pas chère, pas vers le Hilton.
C’est quand même plus facile de transporter un sac bien équilibré sur le dos qu’une valise de vingt kilos qui arrache le bras et dévie la colonne vertébrale ! Il faut penser aux moments difficiles où il recherche un hôtel, où il voyage à l’arrière d’une moto, où il court sur un quai de gare. Conclusion : si vous voulez vous transformer en routard, mettez-vous bien dans la tête qu’il va falloir abandonner les valises à roulettes. Si cette idée vous fait flipper, n’y pensez plus !

La nationalité du Routard
Ce sont les Anglais et les Allemands qui tiennent le haut du pavé, suivis par les Hollandais et les Scandinaves. Les Français sont rares.
Une mention pour les Suisses finalement assez nombreux, puisqu’il y a plus d’habitants dans l’agglomération parisienne que dans toute la Suisse ! Ils n’ont pas l’air heureux d’habiter un pays à deux vitesses - la prospérité pour la Suisse Alémanique, les miettes pour les autres - qui a choisi de ne pas entrer dans la CEE.

L'âge du Routard
L’âge moyen des routards se situe entre 20 et 30 ans. Mais rien n’empêche d’y croire, même à nos âges même si l’on en rencontre peu ! Nombreux sont ceux qui partent pour plusieurs mois ou même plusieurs années avant de se lancer dans la vie professionnelle ou pour le simple plaisir de découvrir des horizons nouveaux. D’autres sont complètement paumés et errent sans autre but que de durer le plus longtemps possible avant de retrouver les problèmes qu’ils ont laissés derrière eux.

Les finances du Routard
Si l’on observe de plus près une population de routards, on s’aperçoit qu’elle se divise en de nombreuses catégories déterminées par le budget : le prix d’une chambre peut être multiplié par cinq entre un routard “basique” et un routard “confort”, il en est de même entre un repas sur le trottoir et un repas au restaurant.
Le choix du moyen de transport est déterminant ; ainsi entre Bangkok et Chiang-Mai, trois possibilités : l’avion pour la catégorie “confort”, le train pour la catégorie “standard”, le car pour la catégorie “basique”. Ne compliquons pas la situation avec les sous-catégories : place assise, couchette, air conditionné ou pas, etc.
Sachez, cependant, qu’un routard “standard” ou “confort” ne rechigne pas à descendre d’une catégorie si la situation l’exige. En revanche, monter d’un cran est psychologiquement - et financièrement - plus pénible.
C’est surtout du routard “basique” qu’il va être question dans les lignes qui suivent car il titille sans cesse ma curiosité.

Le routard a plusieurs façons de subvenir à ses besoins pendant le voyage.
Premier cas : il a tout calculé avant le départ, le compte en banque est approvisionné - ce qui assez rare. Il lui suffit alors de se présenter au guichet d’une banque avec sa carte de crédit : il est amusant de voir se côtoyer les rombières américaines - qui n’en croient pas leurs yeux - et les routards crasseux devant les guichets de l 'American Express.
Deuxième cas : il n’a rien calculé avant le départ, mais peut-être que Papa et Maman ont pensé à approvisionner le compte. Au cas où leur mémoire aurait été défaillante, autre solution : essayer de donner des cours de français, d’anglais ou d’allemand, selon sa nationalité. Cette démarche nécessite cependant un investissement : l’achat d’une tenue convenable, apte à séduire les futurs élèves. Heureusement, les tailleurs sur mesure fleurissent dans tous les pays d’Asie.
Celui qui a le sens du commerce peut acheter des bijoux à Jaipur, du safran au Cachemire, de la soie à Bénarès et des bracelets en Irian Jaya pour les revendre dans les rues de… Tokyo où les marges peuvent atteindre au moins 500 %. Mais attention, le commerce de trottoir nippon est entre les mains des Israéliens ! Tu paies ou tu pars !

Autre technique : celui qui apitoie des touristes sur son sort - argent et carte de crédit volés, par exemple - de préférence au restaurant. C’est un bon truc pour se faire offrir un repas ou une cigarette par des naïfs apitoyés !
Enfin, celui qui n’a pas de scrupules joue au dealer. Après s’être approvisionné dans le célèbre Triangle d’Or, à la frontière de la Thaïlande, du Laos et de la Birmanie, il rejoint Katmandou ou les plages de Goa, Pattaya et Phuket pour y écouler la drogue auprès d’autres touristes, et y couler des jours heureux.

La solitude du Routard
De nombreux routards partent seuls, c’est pourquoi ils aiment se retrouver entre compatriotes dans des coins pour routards ; ainsi à Bangkok, Singapour, Katmandou ou Jakarta qui ont carrément une rue ou un quartier pour eux. C’est ici qu’on échange ses bons et mauvais tuyaux.
C’est quoi un bon tuyau ? En général, c’est une île où l’on peut rester des semaines sans rien faire pour pas cher. Exemples : Koh Chang en Thaïlande ou Samosir à Sumatra. Des îles désertes, entendez par-là que seuls les routards y séjournent.
Oui, le routard est grégaire, ça permet d’économiser de l’argent en partageant sa chambre avec un autre routard ou en louant un taxi ou un bateau à plusieurs.
Rares sont ceux qui mangent seuls. Les grandes tablées sont propices aux regroupements par nationalité. Les bouts de table sont occupés par les véritables solitaires qui essaient en vain de se concentrer sur Kant ou Tintin au milieu du brouhaha des conversations croisées.
Attention, mieux vaut éviter de se trouver en face d’un routard isolé en mal de confidences : difficile de se dépêtrer d’une telle situation quand on s’épanche sur votre épaule ! Accident de moto, passeport confisqué, amende…

La nourriture du Routard
Autre tuyau d’importance : où manger dans un cadre agréable sans dépenser trop ? Parfois, il se lasse de se sustenter au milieu d’un marché, certes pittoresque, avec des trucs pleins d’huile dans une feuille de bananier, et des fruits qui dégoulinent sur les doigts. Heureusement, il existe des havres de paix, des oasis de fraîcheur où une douce musique résonne agréablement aux oreilles. Merci aux hôtels de luxe, au Sheraton, au Méridien, pour leurs magnifiques buffets À VOLONTÉ ! Il n’y a guère que dans ces hôtels des pays en voie de développement que le routard peut se payer une telle abondance de mets, et il en a conscience. Lui qui vit habituellement de pois chiches grillés et de bananes, a soudain peur de manquer : il entasse sur une seule assiette de porcelaine les entrées, les plats de résistance et les desserts. On ne sait jamais, il a vu un groupe de congressistes japonais à l’autre bout de la salle.
Sous réserve de ne pas vomir dans les deux heures cette nourriture soudain abondante et riche, c’est une formule économique qui permet de sauter un repas !

Le look du Routard
Certains d’entre vous n’ont peut-être aucune idée du look d’un routard “basique”. Voici quelques précisions.
Le look du routard “basique” correspond souvent au premier pays visité car il adopte généralement les fabrications locales. C’est très flagrant en Inde, où les prix extrêmement faibles permettent aux budgets les plus bas l’achat d’une garde-robe complète.
Les Anglaises portent une tunique longue par-dessus laquelle elles enfilent un court gilet sans manche, un pantalon large du haut et serré aux chevilles ou une jupe longue et colorée en coton froissé. Parfois les trainings remplacent les sandales à lanières de cuir naturel. Elles ont souvent un 3e œil sur le front, des pendants d’oreille, et un petit anneau dans la narine, et un tatouage discret sur le bras.
Sur l’épaule, un sac à bandoulière en tissu viendra donner une touche finale à ce tableau soixante-huitard.
Parfois, l’habillement permet de reconstituer plus ou moins l’itinéraire. Seulement plus ou moins. Imaginez que vous rencontrez un routard avec une tunique à la Nehru sur un pantalon en batik, des tongs aux pieds, une casquette brodée birmane sur la tête. Inde, Birmanie, Indonésie ? Ou seulement Khao San Road à Bangkok ?
D’autres préfèrent le look occidental décadent caractérisé par un T-shirt délavé aux coutures déchirées. Quelques coups de ciseaux bien appliqués peuvent accélérer le processus de dégradation.

Et maintenant, que croyez-vous que je voie quand je me regarde dans le miroir ? Des cheveux plus longs à la coupe incertaine, un vieux T-shirt Gucci de Bangkok, un pantalon élimé de Madurai, et des tennis de Bali… J’ai l’impression d’être sur le bon chemin !

Goa, 12 septembre 1993

Pour la nourriture, pas de fantaisie, tout le monde a les mêmes menus : des plats occidentaux et chinois, rarement des plats indiens. À l’entrée de chaque restaurant, un grand tableau noir disant : “Today’s Special…” avec le steak de requin, les calamars à l’ail, le plateau de la mer, et le gâteau au chocolat.

Aujourd’hui, le restaurant Sea Pearl rouvre ses portes : un serveur essaie d’inscrire les plats sur le tableau noir, un pense-bête dans la main gauche, une craie dans la main droite. Le baby kingfish va s’emmêler les pédales avec le shark steak, les milk-shakes gondolent, les desserts sont écrits trop petits. Résultat : la patronne râle et appelle son mari qui efface tout et nous torche le travail en deux minutes. Décidemment, on ne peut plus se fier au petit personnel, même en Inde !

Quelques instants plus tard, alors que le vent et la pluie pénètrent dans le restaurant malgré les bâches protectrices en plastique, un cri d’horreur fait tourner toutes les têtes. C’est un serpent qui passe devant l’entrée, tranquillement, sans déranger personne. Le malheureux ! Une nuée de coups s’abat sur lui, chacun s’étant saisi, qui d’un bâton, qui d’une branche morte de palmier ; même la cuisinière, petite femme bien ronde et courte sur jambes est de la partie. Elle brandit son bâton si haut que sa robe remonte au milieu des cuisses et qu’elle a le menton entre les deux seins. Elle n’est pas la dernière à asséner de grands coups sur la pauvre bête, à la manière des lavandières du Portugal dont elle descend peut-être !

Le restaurant qui marche, c’est Britto’s. Pourquoi ? Peut-être parce que la musique y est plus forte qu’ailleurs : si le reggae n’existait pas, quel calme à Katmandou, Bali, Koh Samet et Goa !

[Bruit des vagues sur Baga Beach]


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Goa, 11 septembre 1993

La plage aussi a son ambiance. Actuellement, les marchands sont plus nombreux que les touristes, alors difficile d’avoir cinq minutes de bronzette au calme.

Ce matin, nous nous allongeons le plus discrètement possible entre Infant Jesus et Lambada, deux bateaux de pêcheurs, sûrs de n’avoir pas été repérés, quand soudain, une voix aiguë de petit garçon vient nous tirer d’un demi-sommeil douillet : “Want cold drink, Limca, mineral water, very cold ! Later ?
Alors commence le défilé : “Buy longhi, bed cover, nice shirt ? Later ?”, “ Massage, haircut, clean ears…”, “Nice jewels for you, Madam, necklace, earrings, beautiful stone… Later ?
Miss Bagoua

“ Hello ! How are you today ?” Tiens, c’est la voix un peu rauque de Bagoua ; elle a huit ans, une queue-de-cheval, des boucles d’oreilles, un anneau dans la narine. Aujourd’hui, elle porte sa robe verte à volants, et sur la tête un grand panier rond rempli de fruits. Et pour vendre ses fruits, elle est douée la petite Bagoua ! 
I have good papaya for you today, only 20 rupees !
- Mais c’est cher vingt roupies, j’en ai vu à dix !
If you see lady selling papaya for 10 rupees, then you can buy that lady !
- Dis voir, il est à moitié vide ton panier, les affaires ont bien marché ce matin !
No, I take only half fruit because full basket too heavy for me !
- Il est encore vert ton ananas, il est pas bon…
Pineapple good, I cut, you eat ; if not good, you not pay ! You want watermelon ?... I like eat watermelon…
- J’ai pas d’argent sur moi.
No problem, you eat now, you pay afternoon !

Elle ne manque pas de bagou, la petite Bagoua !

[My name is Bagoua]


La maman de Bagoua

Goa, 8 septembre 1993

Baga Beach avant la saison touristique

C’est très pratique quand on est sur la côte ouest, car on voit arriver les nuages de la mousson, là-bas au-dessus de la mer.
Les perturbations - quatre à cinq par jour - sont violentes et courtes. L’air est tellement humide que les maillots de bain n’ont pas le temps de sécher pendant la nuit, et que mes lunettes de vue s’embuent dès que je mets le nez dehors !
La mer, encore sauvage, continue de raviner la plage dont le sable forme de petites collines.
Dans le cadre de notre voyage-pèlerinage, nous logeons à nouveau au Baia do Sol !
La saison touristique n’est pas encore commencée, la moitié des hôtels sont encore fermés, idem pour les restaurants.
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