Après
une année de pérégrinations asiatiques, je suis maintenant prête à vous
dévoiler les habitudes et les coutumes du monde des routards, un monde qui
m’était totalement inconnu. Je me souviens seulement m’être étonnée plusieurs
fois, dans les dix dernières années, devant le courage de ces voyageurs
transportant des kilos sur le dos et transpirant sous les rayons du soleil en
cherchant un hôtel. J’étais alors, à ce même moment, bien à l’abri dans ma
voiture climatisée.
Qu’est-ce
qu’un routard ?
Si l’on consulte le Larousse, on apprend que c’est un
jeune qui voyage à pied ou en auto-stop avec peu d’argent.
Cette
définition remonte à des années révolues, et je peux vous dire que ces
routards-là sont en voie d’extinction ; il n’en existe presque plus, je me
demande même si nous en avons croisé un seul !
De
nos jours, on se déplace en bus, en train et en avion, tout en continuant à
s’appeler routard, même si l’on a dépassé 40 ans !
En
anglais, le routard s’appelle “backpacker”, celui qui porte son sac sur le dos.
Voilà qui se rapproche nettement de la réalité.
Un
sac à dos classe d’office dans la catégorie routard. Les locaux, qui savent
depuis longtemps faire la différence entre une Samsonite et un sac à dos, le
dirigeront automatiquement vers la petite guesthouse pas chère, pas vers le
Hilton.
C’est
quand même plus facile de transporter un sac bien équilibré sur le dos qu’une
valise de vingt kilos qui arrache le bras et dévie la colonne vertébrale !
Il faut penser aux moments difficiles où il recherche un hôtel, où il voyage à
l’arrière d’une moto, où il court sur un quai de gare. Conclusion : si
vous voulez vous transformer en routard, mettez-vous bien dans la tête qu’il va
falloir abandonner les valises à roulettes. Si cette idée vous fait flipper, n’y
pensez plus !
La nationalité du Routard
Ce
sont les Anglais et les Allemands qui tiennent le haut du pavé, suivis par les
Hollandais et les Scandinaves. Les Français sont rares.
Une
mention pour les Suisses finalement assez nombreux, puisqu’il y a plus
d’habitants dans l’agglomération parisienne que dans toute la Suisse ! Ils
n’ont pas l’air heureux d’habiter un pays à deux vitesses - la prospérité pour
la Suisse Alémanique, les miettes pour les autres - qui a choisi de ne pas
entrer dans la CEE.
L'âge du Routard
L’âge
moyen des routards se situe entre 20 et 30 ans. Mais rien n’empêche d’y croire,
même à nos âges même si l’on en rencontre peu ! Nombreux sont ceux qui
partent pour plusieurs mois ou même plusieurs années avant de se lancer dans la
vie professionnelle ou pour le simple plaisir de découvrir des horizons
nouveaux. D’autres sont complètement paumés et errent sans autre but que de
durer le plus longtemps possible avant de retrouver les problèmes qu’ils ont
laissés derrière eux.
Les finances du Routard
Si
l’on observe de plus près une population de routards, on s’aperçoit qu’elle se
divise en de nombreuses catégories déterminées par le budget : le prix
d’une chambre peut être multiplié par cinq entre un routard “basique” et un
routard “confort”, il en est de même entre un repas sur le trottoir et un repas
au restaurant.
Le
choix du moyen de transport est déterminant ; ainsi entre Bangkok et
Chiang-Mai, trois possibilités : l’avion pour la catégorie “confort”, le
train pour la catégorie “standard”, le car pour la catégorie “basique”. Ne
compliquons pas la situation avec les sous-catégories : place assise,
couchette, air conditionné ou pas, etc.
Sachez,
cependant, qu’un routard “standard” ou “confort” ne rechigne pas à descendre
d’une catégorie si la situation l’exige. En revanche, monter d’un cran est
psychologiquement - et financièrement - plus pénible.
C’est
surtout du routard “basique” qu’il va être question dans les lignes qui suivent
car il titille sans cesse ma curiosité.
Le
routard a plusieurs façons de subvenir à ses besoins pendant le voyage.
Premier
cas : il a tout calculé avant le départ, le compte en banque est approvisionné
- ce qui assez rare. Il lui suffit alors de se présenter au guichet d’une
banque avec sa carte de crédit : il est amusant de voir se côtoyer les
rombières américaines - qui n’en croient pas leurs yeux - et les routards crasseux
devant les guichets de l 'American Express.
Deuxième
cas : il n’a rien calculé avant le départ, mais peut-être que Papa et
Maman ont pensé à approvisionner le compte. Au cas où leur mémoire aurait été
défaillante, autre solution : essayer de donner des cours de français,
d’anglais ou d’allemand, selon sa nationalité. Cette démarche nécessite
cependant un investissement : l’achat d’une tenue convenable, apte à
séduire les futurs élèves. Heureusement, les tailleurs sur mesure fleurissent
dans tous les pays d’Asie.
Celui
qui a le sens du commerce peut acheter des bijoux à Jaipur, du safran au
Cachemire, de la soie à Bénarès et des bracelets en Irian Jaya pour les
revendre dans les rues de… Tokyo où les marges peuvent atteindre au moins 500 %.
Mais attention, le commerce de trottoir nippon est entre les mains des
Israéliens ! Tu paies ou tu pars !
Autre
technique : celui qui apitoie des touristes sur son sort - argent et carte
de crédit volés, par exemple - de préférence au restaurant. C’est un bon truc
pour se faire offrir un repas ou une cigarette par des naïfs apitoyés !
Enfin,
celui qui n’a pas de scrupules joue au dealer. Après s’être approvisionné dans
le célèbre Triangle d’Or, à la frontière de la Thaïlande, du Laos et de la
Birmanie, il rejoint Katmandou ou les plages de Goa, Pattaya et Phuket pour y
écouler la drogue auprès d’autres touristes, et y couler des jours heureux.
La solitude du Routard
De
nombreux routards partent seuls, c’est pourquoi ils aiment se retrouver entre
compatriotes dans des coins pour routards ; ainsi à Bangkok, Singapour,
Katmandou ou Jakarta qui ont carrément une rue ou un quartier pour eux. C’est
ici qu’on échange ses bons et mauvais tuyaux.
C’est
quoi un bon tuyau ? En général, c’est une île où l’on peut rester des
semaines sans rien faire pour pas cher. Exemples : Koh Chang en Thaïlande
ou Samosir à Sumatra. Des îles désertes, entendez par-là que seuls les routards
y séjournent.
Oui,
le routard est grégaire, ça permet d’économiser de l’argent en partageant sa
chambre avec un autre routard ou en louant un taxi ou un bateau à plusieurs.
Rares
sont ceux qui mangent seuls. Les grandes tablées sont propices aux
regroupements par nationalité. Les bouts de table sont occupés par les
véritables solitaires qui essaient en vain de se concentrer sur Kant ou Tintin
au milieu du brouhaha des conversations croisées.
Attention,
mieux vaut éviter de se trouver en face d’un routard isolé en mal de
confidences : difficile de se dépêtrer d’une telle situation quand on s’épanche
sur votre épaule ! Accident de moto, passeport confisqué, amende…
La nourriture du Routard
Autre
tuyau d’importance : où manger dans un cadre agréable sans dépenser trop ?
Parfois, il se lasse de se sustenter au milieu d’un marché, certes pittoresque,
avec des trucs pleins d’huile dans une feuille de bananier, et des fruits qui
dégoulinent sur les doigts. Heureusement, il existe des havres de paix, des
oasis de fraîcheur où une douce musique résonne agréablement aux oreilles.
Merci aux hôtels de luxe, au Sheraton, au Méridien, pour leurs magnifiques
buffets À VOLONTÉ ! Il n’y a guère que dans ces hôtels des pays en voie de
développement que le routard peut se payer une telle abondance de mets, et il
en a conscience. Lui qui vit habituellement de pois chiches grillés et de bananes,
a soudain peur de manquer : il entasse sur une seule assiette de
porcelaine les entrées, les plats de résistance et les desserts. On ne sait
jamais, il a vu un groupe de congressistes japonais à l’autre bout de la salle.
Sous
réserve de ne pas vomir dans les deux heures cette nourriture soudain abondante
et riche, c’est une formule économique qui permet de sauter un repas !
Le look du Routard
Certains
d’entre vous n’ont peut-être aucune idée du look d’un routard “basique”. Voici
quelques précisions.
Le
look du routard “basique” correspond souvent au premier pays visité car il
adopte généralement les fabrications locales. C’est très flagrant en Inde, où
les prix extrêmement faibles permettent aux budgets les plus bas l’achat d’une
garde-robe complète.
Les
Anglaises portent une tunique longue par-dessus laquelle elles enfilent un
court gilet sans manche, un pantalon large du haut et serré aux chevilles ou
une jupe longue et colorée en coton froissé. Parfois les trainings remplacent
les sandales à lanières de cuir naturel. Elles ont souvent un 3e œil sur le
front, des pendants d’oreille, et un petit anneau dans la narine, et un
tatouage discret sur le bras.
Sur
l’épaule, un sac à bandoulière en tissu viendra donner une touche finale à ce
tableau soixante-huitard.
Parfois,
l’habillement permet de reconstituer plus ou moins l’itinéraire. Seulement plus
ou moins. Imaginez que vous rencontrez un routard avec une tunique à la Nehru
sur un pantalon en batik, des tongs aux pieds, une casquette brodée birmane sur
la tête. Inde, Birmanie, Indonésie ? Ou seulement Khao San Road à Bangkok ?
D’autres
préfèrent le look occidental décadent caractérisé par un T-shirt délavé aux
coutures déchirées. Quelques coups de ciseaux bien appliqués peuvent accélérer
le processus de dégradation.
Et
maintenant, que croyez-vous que je voie quand je me regarde dans le miroir ?
Des cheveux plus longs à la coupe incertaine, un vieux T-shirt Gucci de
Bangkok, un pantalon élimé de Madurai, et des tennis de Bali… J’ai l’impression
d’être sur le bon chemin !