C'est l'histoire d'un couple qui, arrivé dans la quarantaine, s'organise pour partir un an, en congé sabbatique, sac au dos, en Asie.
Petit détail : ceci s'est passé en 92-93 !
Après relecture de Routards & Cie, que Sally avait rédigé à notre retour, nous avons décidé d'en faire un blog d'une durée d'un an en respectant le texte original et sa chronologie afin d'y retrouver les émotions de l'époque.
Les 675 photos, les 65 documents scannés, les 12 dessins, les 125 vidéos et les 95 enregistrements sonores sont d'époque aussi.
Bonne lecture !

Après

[Ce texte se trouve en Annexe II de "Routards & Cie"]

À notre retour, nos amis nous ont posé de nombreuses questions. 
En voici un échantillonnage suivi de nos réponses.

Aviez-vous des appréhensions en partant ?
François : C’était notre première expérience routarde, nous ne savions pas si nous tiendrions la distance en voyageant de la sorte, et si nous allions pouvoir cohabiter aussi longtemps. Un autre point d’interrogation : ne se lasse-t-on pas de voyager ?

Comment ont réagi vos amis et votre famille ?
F. : Quand nous leur avons annoncé notre décision, tout le monde nous a encouragés. Cela n’a pas cessé pendant le voyage, puisque nous avons reçu 150 lettres environ.

Comment s’organise la vie en voyage ?
Sally : Nous ne nous sommes pas posé la question de savoir comment la vie allait s’organiser, car nous n’en avions pas la moindre idée. Les choses se sont faites toutes seules.
Au début, ça ressemble à des vacances normales avec un rythme assez soutenu. Petit à petit, ce rythme diminue, et les temps de pause augmentent. Finalement, il nous a fallu environ 3 mois pour trouver notre vitesse de croisière idéale : mi-découverte, mi-repos. À peu près autant de repos en bord de plage que dans les villes. Ainsi, nous avons passé en tout plus de 40 jours à Bangkok, qui était notre plaque tournante pour toute la région, et qui était devenue notre “chez-nous” pendant 4 mois.

Dans quels types d’hôtels descendiez-vous ?
S: Dans des guesthouses conseillées dans des guides, ou signalées par d’autres routards. Nous avons découvert une catégorie entre les hôtels de luxe impersonnels et les bouges crasseux. De petits hôtels, souvent avec beaucoup de charme, où l’on aime bien faire plaisir. (Voir la liste de nos préférés en annexe).

Pas de problèmes de nourriture ?
F. : Pas vraiment. Le dépaysement culinaire faisant aussi partie du voyage, nous avons toujours adopté la nourriture locale. Au début, nous avons pris quelques précautions, le temps de nous habituer au changement de nourriture et à la chaleur. Le pain a été remplacé par le riz : nous en mangions au moins une fois par jour pour compenser les effets des sauces relevées. Cela ne nous a cependant pas épargné une ou deux “touristas”.
Nous mangions beaucoup de fruits également, après les avoir épluchés. La banane, dont nous avons découvert des dizaines de variétés, est la plus pratique, et ne présente aucun danger. Pour les boissons, du thé, de l'eau en bouteille et de la bière.

Avez-vous eu envie d’un steack-frites de temps en temps ?
F. : La viande ne fait pas partie de mes fantasmes alimentaires. J’ai parfois pensé à un chèvre chaud sur du pain de campagne avec une salade verte, assaisonnée d’une sauce à l’huile de tournesol 1re pression à froid, et au vinaigre à la framboise. Mais sans plus…

Vous êtes-vous disputés tous les deux ?
S. : C’était une inconnue qui aurait pu changer le cours du voyage. Même si nous avons connu des moments de tension, nous ne nous sommes jamais disputés, car, pendant les moments de détente, nous pouvions avoir chacun des occupations différentes, et ne pas dépendre constamment l’un de l’autre. Inutile pour cela d’être éloignés de plusieurs kilomètres : nous avons passé des dizaines d’heures côte à côte, chacun dans notre bulle, moi à écrire et François à lire, par exemple.

Y a-t-il beaucoup de routards au long cours ?
F. : Beaucoup plus qu’on ne le croit, en particulier des jeunes qui partent pour plusieurs mois de découverte ou de fuite, avant d’entrer dans la vie professionnelle. En majorité, des Anglo-Saxons et des Allemands, mais peu de Français.
Certains ont fait du voyage un mode de vie en profitant de l’hospitalité qui caractérise de nombreux pays d’Asie.

Vous êtes-vous liés à d’autres routards ?
S. : Très peu finalement, car chacun a sa vision du voyage et les échanges sont souvent superficiels, surtout quand personne ne s’exprime dans sa langue maternelle. Néanmoins, nos rencontres avec Philippe et Martine en Inde, et Sébastien en Birmanie et au Vietnam, nous ont apporté de grands moments de plaisir partagés. Nous les avons revus depuis notre retour à Paris, toujours avec autant de bonheur.

Avez-vous emporté des objets qui se sont révélés inutiles par la suite ?
S. : Oui. Le Discman et les CD que nous croyions indispensables. Ils sont trop fragiles, et ne sont pas d’une utilisation pratique sur une plage par exemple. Peu à peu, la musique a été remplacée par d’autres loisirs, et ne nous a pas du tout manqué.
À tout prendre, il vaut mieux acheter un walkman bon marché et des cassettes dans les pays visités.
La prise de courant universelle s’est également révélée inutile. On peut faire sans.

Y a-t-il eu des moments de lassitude ?
F. : En Indonésie, après Bali, nous avons ressenti un grand décalage entre la réalité et les envolées lyriques des guides. Alors l’ennui a commencé à s’installer et nous avons pris la décision de faire demi-tour ; en revenant à Singapour nous avons aussitôt retrouvé notre “pêche”.

Avez-vous acheté beaucoup de souvenirs ?
F. : Très peu, pour diverses raisons. D’abord parce qu’ils représentent une surcharge à transporter, même temporaire, en attendant de les expédier depuis une grande ville. Ensuite parce que de nombreux objets perdent leur identité en changeant d’environnement ; ils finissent souvent par disparaître dans un tiroir. Aussi, avant chaque achat, nous posons-nous la question : “Où ?”
En revanche, nous avons acheté de nombreux livres que nous avons expédiés en France par la poste. Tous nos colis sont arrivés à destination ! La tête de Bouddha khmère et une statuette en terre cuite de Birmanie n’ont pas supporté le voyage…

Quel pays avez-vous préféré ?
S. : Difficile de répondre, car chaque pays présente des attraits particuliers. Ainsi, nous avons beaucoup apprécié les plages de Thaïlande et de Malaisie, les fonds marins des Maldives, l’art khmer, les marchés vietnamiens, l’étonnante joie de vivre des Birmans, le raffinement balinais, l’authenticité du Bhoutan, l’architecture de la vallée de Katmandou, et même l’écologie à Singapour !
Mais pour dire la vérité, c’est en Inde que nous nous sentons le mieux ; c’est vraiment le pays qui nous fait le plus vibrer. Pour nous, c’est la totale !

Comment se passe la communication avec les gens des pays visités ?
S. : Le b.a.- ba de la communication sont les gestes, le regard, le sourire et les mimiques quand aucune langue ne nous est commune. Avec les femmes en Inde ou en Birmanie, qui sont des pays où les gens sont plutôt extravertis, j’ai souvent senti un courant passer par le sourire, que ce sourire vienne d’abord de l’autre ou de moi.
Les “phrasebooks” sont une façon très amusante de lier connaissance, car ils donnent lieu à des crises de rire de part et d’autre : demandez où se trouve la poste, en birman ou en vietnamien, vous verrez !
Les guides comprenant des photos attisent souvent la curiosité des grands et des petits.
Le dictaphone où chacun peut réentendre sa voix, les petits tours de magie, les chansons, les dessins font partie des moyens qui permettent de connaître de véritables instants d’échange.

Avez-vous découvert de nouveaux plaisirs ?
S. : Plein. J’aime beaucoup arriver en bateau sur une île. Quand je quitte un petit port crasseux - les ports le sont souvent - et qu’après quelques heures j’aperçois un morceau de terre entouré d’eau, je retrouve une âme de Robinson. C’est totalement différent de l’approche aérienne.
J’ai aussi découvert le plaisir de la sieste. L’endormissement de l’après-midi est bien plus agréable à mon goût que l’endormissement de la nuit. Et puis, les siestes crapuleuses…

Et l’amour, c’est différent en voyage ?
F. : Bien sûr. Quand on est débarrassés de tous ses soucis, pas d’horaires, pas de téléphone, personne pour nous déranger… Vous imaginez ? Vous avez déjà pris des vacances vous aussi…

Vous avez dû aussi avoir des galères ?
F. : Pas de vraies galères : rhume, mycose ou tourista, hôtels ou trains complets. Ce sont des contretemps sans conséquence lorsqu’on n’est pas pressés. Mais ils deviennent des galères lorsqu’on n’a que 3 semaines de vacances…

Vous n’avez jamais eu peur de vous faire voler votre argent ou votre passeport ?
F. : J’ai l’impression de ne pas courir plus de risques en me promenant sur un marché indien qu’en prenant le métro à Paris. Évidemment, pour ne pas mettre en péril la suite du voyage, mieux vaut prendre des précautions de base. J’avais sur moi une “banane” plate, glissée à l’intérieur du pantalon contenant mon passeport et des espèces. De son côté Sally avait une pochette plate en cuir dont la boucle était passée à l’avant du soutien-gorge. Et dans le double fond du petit sac à dos, des travellers.

Comment avez-vous réagi devant la misère et les mendiants ?
S. : Nous avons déjà souvent été confrontés à la misère dans nos voyages précédents. En ce temps-là, nous donnions de l’argent et distribuions à tort et à travers bonbons et stylos aux enfants qui en demandaient.
Pendant cette année, nous n’avons pratiquement jamais donné d’argent, mais nous préférions partager un fruit ou des biscuits. Il nous a aussi semblé qu’un sourire et quelques paroles, même incomprises à cause de la langue, sont aussi une façon de dire que nous, les nantis, ne les méprisons pas.
Et puis, il y a quelques années, nous avons choisi d’aider aussi longtemps qu’il le faudra trois jeunes enfants en Inde et au Cambodge, pour leur permettre d’accéder à une meilleure éducation et peut-être à s’en sortir plus tard.

Certains comportements ou réactions vous ont-ils choqués ?
F. : Oui, bien sûr, mais voyager signifie aussi accepter l’autre tel qu’il est dans ses coutumes et sa religion, l’observer mais essayer de ne pas le juger par rapport à nos propres critères, comprendre qu’on ne peut pas tout comprendre. Ce n’est pas facile, mais c’est un bon apprentissage de la tolérance, applicable à tous moments.

Avez-vous eu du mal à respecter votre budget ?
F. : Pas du tout, car nos dépenses ont diminué au long des mois. C’est surtout au niveau de l’hébergement que la différence est devenue sensible, quand notre besoin de confort s’est atténué, et quand nous avons commencé à raisonner en monnaie du pays, sans passer par le franc ou le dollar. En fait, le budget initial, calculé au “feeling”, s’est avéré réaliste. Coup de chance !

Pensiez-vous aux accidents ?
S. : Pour ma part, assez souvent au début. Les bus indiens roulent très vite (pour leur âge) sur des routes souvent étroites, les rickshaws sont des acrobates du volant. Le danger semble très proche.
Au bout d’un an, lorsque nous avons traversé l’Himalaya par des routes au tracé spectaculaire, j’étais plutôt absorbée par les paysages.

Un an, c’est pas trop long ?
F. : Ce n’est ni long, ni court, nous étions “programmés” pour un an. Quand l’heure du retour est arrivée, nous étions prêts, sans tristesse ni regrets.
La prochaine fois (!), nous éviterons de voyager pendant les mois d’été, d’une part pour éviter le flot des vacanciers, d’autre part, pour profiter de l’été à Paris. Rentrer à l’automne n’est pas facile pour le moral…

Pensiez-vous au retour ?
S. : Nous l’avons évoqué à Koh Samet, après 8 mois de voyage. C’est là que nous avons commencé à former des projets pour le retour. Mais l’idée du retour ne nous a jamais gâché le moment présent. Au contraire, c’était plutôt excitant de penser à ce que nous voulions faire.

Le retour a-t-il été difficile ?
F. : Les premiers jours ont été déroutants : les prix, le mauvais temps, les médias, les gens qui râlent… Dès le lendemain du retour, nous étions à la banque pour régler quelques problèmes !
Mais l’énergie accumulée pendant un an nous a permis de passer le cap.

Depuis que vous êtes rentrés, avez-vous changé votre mode de vie ?
F: Après un an de voyage, nous nous sommes aperçu que nos besoins étaient différents. Nous avons réduit nos dépenses sans nous priver : nous avons un tel stock de vêtements à peine portés, de disques inconnus, et de livres intacts ! Nous n’avons pas racheté de voiture (ce n’est pas un problème lorsqu’on habite Paris). Je ne travaille plus qu’à temps partiel.

Quels étaient vos projets pour le retour, et se sont-ils réalisés ?
S. : Comme prévu, je termine l’écriture d’un livre sur notre année de vadrouille. Je ne sais pas si je réussirai à le faire éditer, mais je suis heureuse de m’être mise à la tâche. Il me semble que sans ce livre, je n’aurais pas extrait “la substantifique moelle” de cette expérience.
Et puis, j’ai remarqué qu’il est impossible de raconter à ses amis une année de vie intense comme on raconte ses vacances. Je n’en parle pas, à moins d’y être invitée. C’est un peu frustrant, car j’ai toujours envie de faire partager mes joies. Ce livre m’y aide sans doute.
F. : Malgré mes projets de changement, j’ai dû reprendre  mes activités professionnelles habituelles à temps partiel, car l’un de mes associés est parti à son tour pour un an !

Vous sentez-vous différents depuis que vous êtes rentrés ?
S. : Le retour s’est accompagné d’un sentiment de plénitude globale, de bonheur intérieur. Il s’est légèrement estompé, mais je vois maintenant la vie avec plus de légèreté, de recul et de confiance qu’avant le départ.

Qu’est-ce qui vous a étonnés pendant cette année ?
S. : Que certains problèmes ne soient pas réservés aux pays riches : la pollution des villes qui me semble plus importante à Delhi et à Bangkok qu’à Paris, la pollution des rivières, les déchets de la consommation moderne (en particulier le plastique), ou l’immigration. Chaque pays a ses problèmes d’immigrés : le Bhoutan avec les Népalais, la Malaisie avec les Indonésiens, Singapour avec tout le monde…
F. : Ce n’est plus un étonnement, mais nous avons la confirmation qu’un tourisme qui se développe anarchiquement au mépris des coutumes d’un peuple, laisse des traces indélébiles.

Et la plus grande découverte de ce voyage ?
F. : C’est le temps. Avoir du temps et pouvoir le perdre. Prendre le temps de s’arrêter et de bavarder avec un inconnu, prendre le temps de marchander, de rire, prendre le temps de regarder un paysage. Prendre le temps de ne rien faire… voilà qui fait ressurgir des ressources insoupçonnées d’imagination et de création.

Est-ce que quelque chose vous manque depuis le retour ?
F. : D’être entourés par des gens qui sont heureux de vivre…

Le referiez-vous ?
F & S. : Sans aucun doute. D’ailleurs, vous voudrez bien nous excuser… les sacs sont prêts, nous appelons un taxi…
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