Des cyclos sont postés sur le trottoir en face de l’hôtel ; les uns, prêts à répondre au moindre de nos gestes, les autres endormis sur le siège passager dans une position de contorsionniste, un bras ou une jambe pendant vers l’extérieur. A peine tournons-nous la tête en leur direction, que trois d’entre eux se précipitent en même temps.
Direction les ghats, les escaliers qui descendent vers le Gange. A mesure que nous nous approchons du fleuve sacré, la foule et la circulation se font de plus en plus compacts. Il nous faut alors continuer à pied en nous frayant tant bien que mal un passage ; un jeune Indien nous propose ses services et nous le suivons par les ruelles du chowk, ruelles si étroites que nous essuyons le mur quand nous doublons une vache ! Notre guide improvisé nous emmène jusqu’au ghat des crémations.
Il est environ six heures et demie, le soleil est couché ; le “spectacle” est impressionnant, car huit corps alignés au bord du Gange brûlent sur des bûchers, entourés par les familles. Les brahmanes psalmodient des prières pendant que les intouchables, qui sont les maîtres d'œuvre de la crémation, circulent entre les bûchers.
Au bout de trois heures, ce qui n’aura pas brûlé par manque de bois - le bois coûte très cher - sera jeté dans le Gange, et cette dernière cérémonie purificatrice mettra fin au samsara du défunt qui atteindra enfin le nirvana.
Le lendemain, debout à 5 heures du matin, nous partons vers le Gange pour y effectuer la traditionnelle promenade en bateau. Les ghats commencent déjà à s’animer, nous pouvons cependant atteindre le bord du fleuve sans encombres.
Du bateau, qui avance au rythme lent du rameur, nous regardons le spectacle qu’offrent les rives. L’eau est encore haute, car la mousson vient juste de se terminer ; les marches sont donc encore inondées, ou bien recouvertes de limon.
C’est une nouvelle journée qui commence à Bénarès. Chacun vaque à ses occupations sans se soucier du voisin : le yogi médite, les femmes s’immergent en sari puis se savonnent toute habillées, certains font des offrandes, d’autres prient ; lorsqu’on a sous la main le fleuve le plus sacré de l’Inde, né de l’orteil de Vishnou, et descendu sur Terre par la chevelure de Shiva, on ne fait pas sa toilette et sa lessive chez soi ! Le fleuve a beau être pollué, il reste toujours pur.
Vers 7 heures, les marchands s’installent sous leurs grands parasols rouges en haut des ghats, et nous avons bien du mal à nous extirper de là : les masseurs nous prennent par le bras et commencent à nous triturer le cou, les chiromanciens attrapent notre main au passage et nous prédisent un avenir de bonheur, les barbiers nous montrent leurs lames neuves, les rabatteurs des fabricants de soie exhibent des carrés de tissu, un doigt vient décorer mon front d’un troisième œil de poudre rouge. Gardons le sourire, restons calmes car ce n’est pas fini : de chaque côté de la rue qui monte vers la ville, des mendiants de tous âges, des aveugles, des manchots et culs-de-jatte tendent vers nous leurs mains aux doigts rongés par la lèpre ou entourés de bandages crasseux. Ils gémissent, prient, implorent ; ils savent que les étrangers peuvent difficilement résister à un tel spectacle. Le changeur de monnaie est tout près, pour troquer les pièces d’une roupie contre cent pièces d’une paisa.
On entend souvent dire que Bénarès est une ville où l’on sent la ferveur religieuse ; moi, je dirais plutôt qu’on y sent la ferveur commerciale, comme à Lourdes, je suppose ?
Un petit tour à Sarnath, où Bouddha prononça son premier sermon dans le parc aux Biches. Disons que le lieu est symbolique…
Enfin, une dernière promenade dans le dédale du chowk de Bénarès où les marchands de fleurs du temple d’Or et du temple d’Annapurna disparaissent sous des monceaux d’œillets d’Inde et de pétales de roses.
Un peu déçus par Bénarès, nous partons plus vite que prévu, tout à l’heure.
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