C'est l'histoire d'un couple qui, arrivé dans la quarantaine, s'organise pour partir un an, en congé sabbatique, sac au dos, en Asie.
Petit détail : ceci s'est passé en 92-93 !
Après relecture de Routards & Cie, que Sally avait rédigé à notre retour, nous avons décidé d'en faire un blog d'une durée d'un an en respectant le texte original et sa chronologie afin d'y retrouver les émotions de l'époque.
Les 675 photos, les 65 documents scannés, les 12 dessins, les 125 vidéos et les 95 enregistrements sonores sont d'époque aussi.
Bonne lecture !

Calcutta, 7 octobre 1992

Notre chambre à l'hôtel Fairlawn

Ce matin, nous faisons semblant de ne pas le voir le cul-de-jatte posté à la sortie du Fairlawn. Nous pressons inconsciemment le pas, mais le petit homme nous “court” après sur ses poings fermés, et nous dépasse. L’épisode se termine avec une roupie pour lui et un grand sourire pour nous. Il faut vraiment apprendre à regarder la misère en face, rien ne sert de s’enfuir, elle est partout !



Nous sommes dans le métro, et descendons à Kalighat, au sud de la ville. Au pied de l'escalator, peut-être le seul de Calcutta, un agent de police règle le débit des voyageurs pour éviter les incidents : on a vite fait de se faire prendre le bas du sari dans l’escalier mécanique...
De nombreux fidèles viennent à Kalighat pour y rendre hommage à Kali, la déesse de la Destruction, dont le temple à l’architecture néokitsch ne désemplit pas. Les sacrifices d’animaux y sont encore fréquents, et la viande est ensuite distribuée aux mendiants qui peuplent les rues avoisinantes.

Temple de Kali

Certains finiront peut-être leur vie, à quelques dizaines de mètres de là, chez Mère Teresa, dont le premier centre d’accueil fut créé dans ce pâté de maisons, à la petite porte surmontée d’une croix. “Mother Teresa, Mother Teresa”, nous dit un petit garçon en indiquant le bâtiment presque anonyme.
Pouvons-nous, devons-nous y entrer ? Est-ce que nous allons visiter les hôpitaux en France ? Après quelques instants d’hésitation, nous finissons par pousser la porte, et laissons derrière nous l’agitation de la rue. Nous sommes d’abord frappés par le calme qui règne dans la grande pièce. Puis, nous voyons des hommes et des femmes - des bénévoles étrangers pour la plupart - qui portent des assiettes de nourriture à des malades allongés sur des lits, et qui les aident à s’alimenter, puis les Sœurs de la Charité en habit blanc à liseré bleu, avec leurs plateaux de médicaments et de seringues. Tout est serein, calme, propre ; rien à voir avec la violence qui sévit à l’extérieur.
Quelques hommes et femmes trouvent enfin ici des moments de quiétude, des soins, de la nourriture, un peu d’amour. Pour combien de temps encore ? Un petit tableau noir indique le nombre de pensionnaires, les entrées du jour, et les sorties. Mais ici, le mot “sortie” a deux sens.

Les fêtes de Dussehra ont commencé. C’est l’occasion pour nous d’assister à une représentation du Ramayana : curieux de voir où se rendent des dizaines de marchands ambulants, nous leur emboîtons le pas pour nous retrouver sur une immense pelouse où des milliers de personnes sont venues assister à la représentation patronnée par la communauté penjabie de Calcutta. Nous passons facilement le contrôle de sécurité qui nous laisse entrer sans invitation dans la partie réservée à la bourgeoisie locale : une trentaine de rangées de chaises entourées d’une haute barrière en bois. Derrière, le peuple se presse, impatient de voir enfin apparaître le prince Rama ou le singe Hanuman dont ils connaissent par cœur les aventures. Nous quittons le spectacle alors que le méchant Ravana essaie de séduire la fragile Sita. Résistera-t-elle ?


Une promenade sur Rabindra Sarani nous fait entrer dans un monde différent, celui d’un quartier populaire à la vie grouillante et aux immeubles décrépis, où les hommes travaillent dur pour gagner quelques roupies.
Ici, tout est transporté, poussé, tiré par des hommes maigres, souvent pieds nus, au corps luisant de sueur.
Chassés par la misère, ils ont quitté leur campagne pour chercher un travail plus rémunérateur à Calcutta. Souvent méprisés, survivant de jour en jour, ils dorment dans les bidonvilles ou sur les trottoirs.


Pour un salaire de misère, ils transportent sur leur dos des charges plus lourdes qu’eux. Il faut les voir prendre le pont d’Howrah avec leur fardeau, au milieu du chaos de la circulation, frôlés par les camions, insultés par les rickshaws, asphyxiés par les gaz d’échappement. Comme elle est traîtresse la pente douce du pont d’Howrah qui rend l’effort encore plus pénible !
Ils deviennent aussi tireurs de pousse-pousse. Un morceau de tissu jeté sur l’épaule leur sert à s’éponger le corps, et une clochette au son mat à signaler leur présence dans les enchevêtrements de la circulation. Ainsi, pendant des heures, ils transportent des clients qui leurs laisseront peut-être de quoi rembourser le prix de la location du pousse-pousse. Il n’y a pas que les touristes qui marchandent les prix.

Voilà, je ne sais pas si cela vous donnera envie de venir à Calcutta. Je crois pourtant qu’il ne faut pas en avoir peur, même si l'on se sent un peu différent en la quittant : ce n’est qu’une immense ville où tout est plus démesuré que dans toute autre ville indienne.

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